Le toilettage des textes sur la presse est une demande pressante des journalistes sénégalais. Dans cette requête, la principale doléance est la dépénalisation des délits de presse et le maintien de la réparation civile comme solution, en cas de faute. Sur la question, les journalistes et les juristes ne parlent pas le même langage. Les premiers, plus progressistes, brandissent la dépénalisation comme une culture juridique en vogue dans plusieurs pays. Les juristes, dans une posture conservatrice, évoquent des principes généraux du droit, comme l’égalité des citoyens devant la loi, pour écarter l’idée d’une législation spéciale en matière de délits de presse. En lieu et place de la dépénalisation, ils préconisent, entre autres, des assouplissements dans la saisine des tribunaux.
Diffamation, diffusion de fausses nouvelles, offense au Chef de l’Etat : la solution du législateur sénégalais et les propositions du Synpics.
A l’état des dispositions juridiques actuelles, le législateur sénégalais a opté pour deux modes de sanctions en matière de «délits de presse». Il s’agit de l’emprisonnement et de l’amende. Par exemple en matière de «délits contre la chose publique», l’offense au chef de l’Etat (article 254 du Code pénal) est punie d’une peine de prison de 6 mois à deux ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs Cfa, ou de l’une de ces deux peines seulement. Le journaliste reconnu coupable de diffusion de fausses nouvelles, se verra sanctionné d’un an à trois ans de prison et devra payer 100 000 à 1,5 million francs Cfa. Et la «diffusion d’une publication déclarée aux conditions fixées par la présente loi (Code de la presse) est punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 20 000 à 200 000 francs Cfa ou de l’une des deux peines….», selon l’article 67 de la loi sur la presse.
Le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication sociale (Synpics), considère qu’il faut dépasser cette législation. Et agite la «dépénalisation». A l’avant-garde de ce combat, le Synpics, sur les instructions du président de la République, a même soumis des propositions aux autorités dans ce sens. Et tout dernièrement un séminaire a réuni journalistes, juristes et membres de la société civile autour des questions sur la «dépénalisation des délits de presse et droit de la presse au Sénégal».
Sur l’offense au chef de l’Etat, l’organisation syndicale propose simplement une «amende de 100 000 à 1,5million francs Cfa». Il en est de même pour la publication de fausses nouvelles. Sur la diffamation aussi, le Synpics propose une amende de 200 000 à 1,5 million francs Cfa. Aucune de ces propositions n’a été validée lors du dernier séminaire sur «Dépénalisation des délits de presse et droit de la presse au Sénégal», phase importante dans la réflexion entamée sur la question de la dépénalisation.
DELIT DE PRESSE ET DEPENALISATION : DE LA DEFINITION DU CONTENU
Par délit de presse, il faut comprendre : «Un délit qui ne peut être commis que dans le secteur de la presse» ; «un délit dans lequel les journalistes sont impliqués» ; «un délit commis par les acteurs de la presse». Mais chez les juristes et les magistrats, des interrogations demeurent. «Cette catégorie est méconnue du Code pénal» sénégalais, soutient Malick Chimère Diouf, directeur des Affaires criminelles et des Grâces au ministère de la Justice. Pour lui, «il existe des infractions, au demeurant de droit commun, susceptibles d’être commises par tout moyen de diffusion publique». Et les «moyens de diffusion publique» ne se réduisent pas à la presse uniquement dans la définition du législateur. Là, il faut mettre aux termes de l’article 248 du Code pénal, «…la radiodiffusion, la télévision, la presse, l’affichage, l’exposition, la distribution d’écrits ou d’images de toute nature, les discours, chants, cris, ou menaces proférées dans les lieux ou réunions publics, et généralement tout procédé technique destiné à atteindre le public».
La dépénalisation correspond à «la mutation du délit de presse en faute civile». Aïssatou Laba Touré, dans une thèse de doctorat sur «Le journaliste sénégalais dans un contexte de mutation», soutient qu’il s’agit de «faire reculer le délit pénal dans les affaires de la presse». Le Synpics parle de la «suppression des peines d’emprisonnement et la conservation des peines d’amende, la suppression de la contrainte en matière de délit de presse».
Mais d’autres problèmes demeurent. Certaines notions restent vagues. C’est le cas en matière de diffusion de fausses nouvelles et d’offense au chef de l’Etat. Ce que le Synpics traduit dans son rapport par «la nécessité de cibler certaines infractions dont le contenu trop flou est de nature à constituer une entrave à la liberté de la presse : diffusion de fausses nouvelles, offense au chef de l’Etat». Il s’agit de «notions élastiques», commente Mamadou Mika Lom, journaliste à Sud Quotidien. «A partir de quel seuil parle-t-on d’offense au chef de l’Eta», se demande Mika Lom. Dans sa thèse de Doctorat, Aïssatou Laba Touré nourrit les mêmes inquiétudes. «Pour ce qui est de l’offense au chef de l’Etat, l’article 254 reste également très flou. La notion n’est pas très clairement définie et dans certains pays à la démocratie balbutiante, il est aisé de qualifier comme tel l’exercice du droit de critiquer la politique du chef de l’Etat», écrit-elle.
Et dans le cas d’espèce, c’est comme si le journaliste était à la merci du juge. Mais le directeur des Affaires criminelles et des Grâces, tente de rassurer : «Laissez le soin au procureur… Faisons confiance aux institutions. Il ne peut être question de poursuites tous azimuts.» La preuve, selon lui, est que depuis l’indépendance, on ne peut pas citer plus de trois affaires en matière d’offense au chef de l’Etat qui ont été portées devant les tribunaux. C’est également l’argument de la «confiance» qui est mis en avant par Amadou Faye, agrégé de droit pénal à la Faculté de Droit. «Faisons confiance aux magistrats, ni plus ni moins», selon M. Faye. Et ce d’autant qu’il y a un «pouvoir d’interprétation qui leur est reconnu». Ce qui fait d’eux «des serviteurs de la loi et non des esclaves de loi», conclut. M Faye.
LES MAGISTRATS MARQUENT LEUR TERRITOIRE
Initiateur du combat pour la dépénalisation des délits de presse au niveau mondial, l’Organisation Reporters sans Frontières (Rsf) estime que le travail des médias est entravé, depuis des années, par l’existence, dans de nombreux pays, de législations pénales sur la diffamation et de lois sur l’offense. Ces lois font peser des pressions excessives sur les journalistes, en particulier lorsqu’ils mettent en cause les autorités publiques. Entraînant comme conséquence, par exemple, l’autocensure des journalistes.
Au-delà des considérations juridiques, comme la généralité de la loi, il s’agit d’une nouvelle culture qui s’installe un peu partout dans le monde. C’est le cas en Centrafrique, Togo et Côte d’Ivoire, entre autres. Lors du séminaire sur «Dépénalisation des délits de presse et droit de la presse au Sénégal», certains magistrats n’ont pas manqué de comparer la «requête» des journalistes à la mise sur pied d’une législation pour un corps spécifique, alors que le Code pénal est censé régir l’ensemble de la population sénégalaise. «Ce qui est contraire aux principes généraux du droit comme celui de l’égalité devant la loi», souligne le magistrat Souleymane Sow.
Le Synpics n’a-t-il pas été très «généreux» dans ses propositions ? (voir plus haut) «Les propositions du Synpics posent des problèmes complexes pour la sauvegarde de l’Etat de droit», selon le directeur des Affaires criminelles. Car, «la dépénalisation telle que suggérée, semble dépouiller l’Etat, la République de tout moyen de réaction efficace, rapide face aux comportements déviants», estime-t-il. Et ne «risque-t-elle pas de rompre la précieuse et centrale égalité des citoyens devant la loi ?», se demande encore M. Diouf.
Le maintien des sanctions pénales répondait donc au souci de «protéger certaines valeurs», comme le président de la République et les institutions de façon générale, argue-t-on dans le camp des magistrats et des juristes. Mais pour les journalistes, dépénaliser ne signifie point se soustraire du cadre législatif commun. «La dépénalisation telle que préconisée, et les mesures proposées, améliorées avec la poursuite du dialogue, est de nature à promouvoir une presse de qualité et assurer une meilleure protection des institutions et des citoyens, dans un climat de liberté et de responsabilité, mieux que des textes dépassés, parfois inapplicables», tempère Alpha Sall. Mieux, le souci des valeurs à protéger est bien présent chez les journalistes, déclare, en substance, Mbaye Sidy Mbaye de l’avis de qui «les journalistes aussi, songent à la préservation des institutions».
VERS UN ASSOUPLISSEMENT DES REGLES
En lieu et place de la dépénalisation partielle demandée par les journalistes, les propositions faites à l’occasion du séminaire sur «dépénalisation des délits de presse et droit de la presse au Sénégal» portent sur la modification du Code pénal, la prise en compte, dans la Loi 96-04 portant Code de la presse modifiée, des dispositions relatives à la presse et contenues antérieurement dans la loi pénale sénégalaise. Ce que d’aucuns ont salué comme l’avènement d’un véritable Code de la presse.
Par rapport à la diffamation et à la diffusion de fausses nouvelles, infractions pour lesquelles les journalistes répondent le plus devant les juridictions, le mode de la citation directe pourrait être privilégié en cas de saisine des juridictions compétentes. A cela s’ajoute aussi la soustraction de l’article 255 du Code pénal qui traite du délit de fausses nouvelles et dont son pendant, l’article 139 du Code pénal, impose la délivrance d’un mandat de dépôt lorsque le requiert le Procureur de la République.
Il faut dire que les séminaristes ont surtout mis l’accent sur la nécessité d’un organe de régulation de la profession doté de véritables moyens pour jouer, pleinement, le rôle de juridiction des pairs. Et pour le directeur des Affaires criminelles et des Grâces, Malick Chimère Diouf, cet organe de régulation sera le relais entre le juge et les organes de presse.
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