L'écrivain devait diriger une grande agence pour coordonner la culture française à l'étranger.
Tout était prêt, ce devait être annoncé le jeudi 11 février : l'écrivain et ambassadeur de France au Sénégal, Jean-Christophe Rufin, allait être le nouveau visage de la culture française à l'étranger. L'académicien devait diriger une grande agence chargée de coordonner et d'unifier la politique culturelle de la France dans le monde, sur le modèle de ce qui se fait en Allemagne avec l'Institut Goethe ou en Grande-Bretagne avec le British Council. Le nom de l'Institut Victor-Hugo a même été évoqué.
D'après nos informations, Jean-Christophe Rufin, peu satisfait de la tournure que prenait l'agence, n'a pas souhaité donner suite. Question d'ambition : entre ce qu'on lui avait promis - une grande agence dotée de moyens -, et ce dont la réforme a accouché - la structure actuelle légèrement améliorée -, le fossé est grand. D'où, sans doute, son refus. Le retrait de ce « joker » très médiatique survient après un long débat au Quai d'Orsay : parti sur l'idée de changements en profondeur, Bernard Kouchner a été contraint au fil des mois de revoir son projet à la baisse devant les résistances internes, efficacement appuyées à l'Élysée.
L'idée première, suggérée par le livre blanc des Affaires étrangères, en 2007, était d'inclure dans le périmètre de la nouvelle agence le bras armé de la diplomatie culturelle : un réseau unique au monde, présent dans 160 pays. Objectif de la réforme : dans un contexte de diète budgétaire, rendre cette agence plus efficace et plus souple dans sa gestion, en créant une entité autonome par rapport au pouvoir régalien. « On aurait alors un effet de levier permettant de nouer des partenariats avec les entreprises et les collectivités territoriales », note une source proche du dossier. Car le vrai problème demeure : l'extrême dispersion des forces et des intervenants. « Si tout le monde s'occupe de culture, personne ne s'en occupe » , regrette un diplomate.
Kouchner tergiverse
Début 2009, un projet est remis à Bernard Kouchner par Olivier Poivre d'Arvor, le patron de l'actuel opérateur, CulturesFrance. Des oppositions s'expriment alors contre le « dépeçage » du ministère, notamment de la part d'ambassadeurs soucieux de garder la main sur le secteur culturel.
Face à la pression, les annonces du ministre sont différées. Un groupe de réflexion est mis en place qui préconise, début juillet, le rattachement du réseau à la nouvelle Agence. En juin, Kouchner se rend à Dakar pour mettre sur les rangs son ami Rufin. Mais des caciques du ministère sonnent l'alarme jusqu'à la présidence de la République et, en quelques jours, font capoter la réforme.
Le 17 juillet, devant les représentants du « réseau » culturel, Kouchner tergiverse. Durant l'été, il sollicite un autre avis, celui d'un magistrat de la Cour des comptes, Dominique de Combles de Nayves, qui conclut que le rattachement du réseau à l'Agence, quoique coûteux, n'est pas insurmontable et permettrait d'« afficher une ambition emblématique ».
Entre-temps, un projet de loi a été déposé au Sénat. Examiné le mois prochain, il prévoit bien la création d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), d'une part, et, d'autre part, la fusion des services culturels des ambassades et des centres culturels. Mais l'éventuel rattachement de l'un à l'autre est renvoyé à trois ans - ce qui ressemble fort à un enterrement. « Pourquoi ferions-nous demain, ce que nous ne faisons pas aujourd'hui ? », s'interroge un diplomate qui ne cache pas sa déception.
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