Chercheur et enseignant dans deux établissements d'enseignement supérieur, c'est une de mes grandes joies quotidiennes que d'exercer, chaque jour, mon métier au contact de jeunes femmes et jeunes hommes de grand talent venus en France pour y étudier ou y faire de la recherche scientifique - étudiants et élèves ingénieurs de l'Ecole polytechnique, doctorants ou postdoctorants dans notre équipe de recherche, qui compte neuf nationalités pour quinze membres.
Aujourd'hui cependant, j'ai honte. J'ai honte de la manière dont mon pays accueille ces jeunes, des difficultés qu'ils rencontrent pour s'installer et vivre en France, et - le mot n'est pas trop fort - pour les humiliations qu'ils y subissent de la part de services administratifs pourtant chargés de leur accueil. J'ai honte mais je suis aussi - je suis surtout - en colère face au mépris de leur travail et de notre travail dont cela témoigne et pour l'immense gâchis qui en résulte. Sentiments excessifs ? Qu'on en juge sur quelques exemples dont j'ai été témoin au cours de ces derniers mois.
D. est de nationalité vietnamienne (je n'utiliserai qu'une initiale pour chaque nom, par respect pour les intéressés). Après une première formation à l'université d'Hanoï, il est arrivé en France en 2001 en tant qu'élève de l'Ecole polytechnique, après avoir réussi des épreuves d'admission très sélectives. Ingénieur diplômé de cette grande école, il a effectué une thèse de doctorat en physique sous ma direction, puis a été employé comme chercheur postdoctoral pendant deux ans dans un laboratoire français de grande réputation.
Au terme de ce parcours, il a souhaité en 2011 donner une nouvelle orientation à sa vie professionnelle. Sa formation, ses diplômes et plus encore ses compétences de haut niveau en modélisation et en simulation numérique ont rapidement conduit à plusieurs offres d'emploi. Hélas, c'était compter sans la désormais tristement célèbre "circulaire Guéant". Cette circulaire a, nous assure-t-on, été corrigée le 12 janvier. Mais les faits, en ce qui concerne D., sont là : il patiente six mois, le temps que son dossier, épais comme une thèse, constitué avec le plus grand soin avec l'aide de l'entreprise qui souhaite l'embaucher (et qui s'est conformée à toutes les exigences légales de procédure en pareil cas), soit instruit par les services compétents. Le 28 mars, le couperet tombe : son autorisation de travail est refusée !
L'Etat et le contribuable français ont dépensé des dizaines de milliers d'euros afin de donner à D. une formation de très haut niveau. Les enseignants, l'encadrement et tous les services d'une des plus grandes écoles de la République ont mis leur compétence, leur travail et leur enthousiasme au service de cette formation. Et D. le leur a bien rendu : pendant six ans, il a donné le meilleur de lui-même au service de la recherche scientifique de ce pays. Il veut maintenant donner le meilleur de lui-même pour contribuer à son dynamisme économique. Mais D. est au chômage depuis six mois, et on refuse à l'entreprise qui souhaite l'embaucher la possibilité de le faire... J'allais oublier : par une ironie particulière à ces monstres froids que sont les bureaucraties, le jeune fils de D. et son épouse - enseignante titulaire de l'enseignement supérieur - obtenaient la nationalité française - quelques jours avant que ne soit notifié à D. le refus de son autorisation de travail.
K. est de nationalité russe, X. de nationalité chinoise. Ils sont chercheurs postdoctorants dans mon équipe. C'est-à-dire qu'ils ont effectué une thèse de doctorat dans un autre institut (aux Etats-Unis pour K., dans un institut de l'Académie des sciences chinoises pour X.) et qu'ils sont actuellement en France dans le cadre d'un contrat à durée déterminée. Quant à P., également russe, il fut postdoctorant dans notre équipe pendant quelques années, puis y obtint un contrat à durée indéterminée en tant qu'ingénieur de recherche, contrat pour lequel il quitta un poste dans une université suédoise de renom. Qu'ont-ils en commun, outre un enthousiasme pour la recherche scientifique, une grande compétence et une formation de très haut niveau ? Ils ont chacun attendu de longs mois (parfois plus de six mois) leur carte (ou titre) de séjour, et même parfois la simple délivrance du récépissé attestant du dépôt de leur dossier de demande.
Pendant ce temps, leur visa d'entrée ayant expiré, pas question de quitter le territoire français pour pouvoir participer à une conférence scientifique à l'étranger, ou pour voir leur famille - il leur aurait été impossible de revenir en France à l'issue de leur voyage. K., quant à lui, n'a pu se rendre, pour cette raison, à un entretien d'embauche dans une université américaine. Pour chacun d'entre eux, délais et files d'attente interminables, pertes de documents, absence de réponse bien que de nombreuses relances aient émaillé leurs démarches. Finalement, contre 350 euros et après des mois d'attente, ils ont obtenu leur titre de séjour... et ont dû presque immédiatement entamer les démarches pour son renouvellement d'un an, dans les mêmes conditions.
Ces exemples ne sont pas des cas isolés. Ils sont le lot commun des étudiants et chercheurs étrangers aujourd'hui dans notre pays. Partout dans le monde, les communautés étudiantes et académiques savent désormais que venir étudier ou chercher en France, c'est s'exposer à de tels déboires.
Partout dans le monde, la capacité à attirer des étrangers de talent est un critère majeur d'évaluation des institutions universitaires, que prennent en compte tous les classements internationaux. Les institutions d'enseignement supérieur françaises se sont mobilisées pour augmenter leur attractivité internationale. Les conditions actuelles d'accueil et d'emploi des diplômés étrangers gâchent ainsi des années d'effort.
Partout dans le monde, attirer des talents étrangers est considéré comme une chance aussi bien pour la créativité intellectuelle et scientifique que pour le dynamisme économique des pays qui y parviennent le mieux. La politique suivie actuellement en France, au contraire, nuit à l'image comme aux intérêts de notre pays.
22 Commentaires
Diop
En Avril, 2012 (15:42 PM)Regardez sur youtube
Liban esclavagisme : une Ethiopienne se fait battre par son maitre libanais
Boulène Gnou Sonal
En Avril, 2012 (15:47 PM)Psd
En Avril, 2012 (15:51 PM)Ok!!!!!
En Avril, 2012 (15:58 PM)Takou
En Avril, 2012 (15:59 PM)Rentrons chez nous !!!
Le Banlieusard
En Avril, 2012 (17:19 PM)Reply_author
En Mars, 2023 (23:58 PM)Reply_author
En Mars, 2023 (09:45 AM)Feug
En Avril, 2012 (17:21 PM)il y a aussi des sénégalais dans cette situation . venir au Sénégal & ne pas trouver de job, cela ne sert à rien de rentrer dans ses conditions. mieux vaut se" débrouiller" à l 'extérieur .
Doums
En Avril, 2012 (17:26 PM)Gogoretlorsqucil
En Avril, 2012 (17:52 PM)Bira
En Avril, 2012 (17:56 PM)Adran
En Avril, 2012 (18:20 PM)Ibou
En Avril, 2012 (18:46 PM)J'ai terminé mes études depuis 2006 , je ne parviens pas à obtenir un travail malgrè les nombreuses tentatives.
Mon frère également est un jeune diplomé tout frais, ça fait 1 an , il dépose partout mais rien
Le marché du travail est un domaine trop restreint à Dakar, d'aillleurs j'envisage de retourner en France dès que possible. La vie est dure
SanxalÈgne
En Avril, 2012 (19:20 PM)Kit
En Avril, 2012 (20:39 PM)Prof
En Avril, 2012 (21:27 PM)Xoxo
En Avril, 2012 (01:13 AM)Canada
En Avril, 2012 (01:33 AM)Bro
En Avril, 2012 (09:30 AM)Kenzompt
En Avril, 2012 (11:42 AM)En plus, en Europe tout a été fait, les marchés sont bouchés alors que pendant ce temps chez nous il y a pleins d'opportunités, tout reste à faire, il suffit juste de se retrousser les manches.
Sur le "circulaire Guéant", c'est simple, a part les fils de riches ou autres, en master 2 la majorité des etudiant sont etrangers, dans ma promo on est 20 etudiants pour 11 nationalités. Le boulot qu'ils disent qu'on leur pique il y a même pas assez de candidats pour les pourvoir. De toute façon, j'en ai rien a foutre, moi je finis et je reviens dans mon djolof natal contribuer à son développement.
Le Sénégal ne se développera que par le biais de ses fils et personne d'autre ne le fera à leur place.
C'est bien des fois le confort de l'europe avec son smic a 1200 euros, mais pensons à nos enfants quel heritage on va leur léguer.
Nguéne balma soumassi togné gnéne yi.
Vive le Sénégal
Wa Salam !!!
Anti Canada
En Avril, 2012 (12:34 PM)Macky
En Avril, 2012 (12:37 PM)Bleu Marine
En Mai, 2012 (08:12 AM)Participer à la Discussion