« Un livre n’est excusable qu’autant qu’il apprend quelque chose ». VOLTAIRE.
Pourquoi écrire sur Obama ?
... Le 28 août 2008, les Etats-Unis d’Amérique ont écrit une nouvelle page de leur histoire, parce qu’un homme de couleur a été désigné candidat du Parti démocrate à la Maison-Blanche. Qu’il soit le produit d’une révolution des mentalités ou non, Barack Obama a lui-même révolutionné les mentalités. La vague d’enthousiasme qu’il a suscitée a dépassé les frontières américaines. Le monde entier l’adule, le congratule comme s’il était porteur de nouveaux espoirs. Je suis allé à la recherche de l’homme bien avant que le monde entier le découvre. C’était bien avant qu’il devienne le « copain » de Nicolas Sarkozy. Je me suis intéressé à la vie de Barack Hussein Obama quand, il y a quatre ans, une petite organisation québécoise pour laquelle je travaillais m’a demandé de traduire un article qui parlait d’un jeune originaire du Kenya qui s’était fait élire au Congrès américain. Je venais d’arriver au Canada comme nouvel immigrant, chassé de mon pays par un climat politique hostile. Cette histoire m’enchantait, rien que par les perspectives qu’elle pouvait offrir à tous les immigrants et enfants d’immigrants, l’espoir que sa réussite politique pourrait susciter. Au début de l’année 2007, peu avant la déclaration de candidature de Barack Obama, j’ai fait part de mon intention d’écrire un livre sur le sénateur Obama à mon ami Moussa Signaté, qui me représente aux Etats-Unis. Le pari était risqué, puisqu’il me fallait arrêter de travailler pour me consacrer à la recherche documentaire pendant plus d’une année. Personne, à ce moment- là, ne pouvait prédire qu’Obama deviendrait une année plus tard le favori de l’élection à la Maison-Blanche. Je trouvais son histoire assez intéressante pour être connue. Beaucoup de gens se sont intéressés à sa vie avant moi. Les rumeurs les plus folles ont couru sur sa religion, ses réseaux secrets, avec des motivations politiques évidentes. Je n’ai pas cherché le politique, j’ai cherché l’homme. J’ai voulu rétablir les choses dans leur véritable simplicité. J’ai voulu voir comment un jeune métis, parti de rien, a fait tomber les barrières raciales et gagner le coeur de dizaines de millions d’américains. D’autres raisons, plus personnelles, m’ont poussé à m’intéresser davantage à l’histoire de Barack Obama. Mon père m’a quitté pour la dernière fois quand j’avais deux ans. Ma mère, enseignante, était en affectation tous les deux ans, et j’ai été élevé par mes grands-parents dans la plus grande modestie. Je n’ai revu mon père qu’à onze ans, alors qu’il couvrait la première campagne du deuxième président de la République du Sénégal. Ces raisons profondes ont peut-être fait de moi ce que je suis devenu, un journaliste politique. Comme Obama a suivi les traces de son père à Harvard et dans la politique. Mais au-delà de ma personne, cette histoire ressemble à celle de beaucoup d’enfants défavorisés dans le monde. J’ai voulu partager avec eux l’histoire de cet optimiste né, arrivé au sommet par sa détermination et son engagement militant. Quoi qu’il arrive durant cette campagne incertaine qui l’oppose au républicain McCain, Barack Obama a déjà repoussé les limites du possible. Pour tous les hommes de couleur, rien ne sera plus comme avant...
« La naissance de Barack Obama, un rendez-vous avec l’impossible »
..Un homme n’est jamais arrivé à la politique avec autant de handicaps. Dans l’Amérique puritaine et revancharde de l’après 11 septembre 2001, on ne peut pas s’appeler Obama comme Ossama, s’appeler Hussein comme Saddam et avoir des prétentions aussi grandes. C’est pourtant ce que veut réussir Barack Obama. L’audace d’espérer, pourrait-on dire, pour reprendre le titre de son volumineux ouvrage. Tous ses handicaps, Barack Obama les a transformés en moteurs de succès. Son père l’a abandonné avec sa mère alors qu’il avait à peine deux ans. Il a vécu une enfance instable entre l’Indonésie où sa mère s’est remariée et la maison de ses grands-parents à Honolulu. Comme de nombreux jeunes noirs, il a touché à l’alcool et à la drogue pour combler une solitude qui l’a toujours habité. Mais l’Amérique aime la compassion. Elle aime célébrer son propre rêve, celui de personnes parties du bas de l’échelle sociale pour arriver au sommet de la gloire. C’est peut-être une des raisons du succès d’Obama et de son adoption dans un pays où le racisme persiste derrière les discours de convenance. Le sénateur Obama renvoie à l’Amérique cette gratitude et cette image idyllique qu’elle aime donner d’elle-même et de sa démocratie, sur fond de ce qui deviendra le thème central de sa campagne pour la présidentielle, l’espoir : « ma présence ici serait impensable. Mon père était un étudiant venu d’un petit village du Kenya... Pendant qu’il étudiait ici, il a rencontré ma mère. Elle est née dans une ville de l’autre partie du monde, le Kansas... Mes parents n’ont pas seulement vécu un amour improbable. Ils ont partagé une foi inébranlable quant aux possibilités de cette nation. Ils m’ont donné un prénom africain, Barack, qui signifie béni, en pensant que dans une Amérique tolérante, le nom ne peut pas être un frein au succès1... Que de chemin parcouru depuis le lointain village Luo du Kenya où son père Barak Sr repose, enterré sous un amas de pierres, son doctorat de Harvard suspendu sur un petit mur de banco. Après les misères vécues à son retour au Kenya, Barak Obama Sr n’aurait jamais cru que la relève serait assurée par un membre du clan abandonné sur une île du pacifique lointain. Il n’aurait jamais cru qu’un de ses rejetons porterait le nom Obama des basses collines qui ceinturent le lac Victoria aux plus hauts sommets du monde... La naissance de Barack Obama elle-même est un rendez-vous avec l’impossible. Dans de nombreux Etats américains, le mariage entre sa mère blanche du Kansas et son père kenyan aurait été impossible... Mais la vie de ce jeune homme, dont le nom signifie "béni" en swahili, est jalonnée de miracles. Après être devenu le premier noir candidat d’un grand parti à la présidentielle des Etats-Unis ».
« Transformer les handicaps en moteur de succès »
Barack Obama veut poursuivre son rêve. Il veut devenir le premier noir président des Etats-Unis d’Amérique... Il était jusqu’ici difficile de dire avec exactitude si Barak Obama Sr et Stanley Dunham, qui deviendra plus tard Ann, se sont bien mariés à l’église ou à l’état civil. Ils n’avaient en tous les cas pas organisé la moindre noce, ce qui était compréhensible dans le climat politique et social de l’époque. Cette famille blanche venue du Kansas n’avait aucun intérêt à faire de la publicité autour de cette relation interdite entre un africain noir et une blanche du Kansas, de quatre ans sa cadette. Il n’y a donc aucune cérémonie immortalisée par les caméras ou la moindre référence qui puisse laisser un souvenir matériel rappelant l’union du jeune couple. Il y a une autre raison à cela : Stanley Ann Dunham était une adolescente mineure au moment même où elle concevait le petit Barack. De nouveaux éléments d’explication sont venus s’ajouter à cette union mystérieuse depuis les révélations du magazine Time après le supertuesday de février 2008. Obama Sr et Ann Dunham se seraient bien mariés le jeudi 2 février 1961, selon le certificat de divorce établi en 1964 à Honolulu. Ce mariage auquel personne n’a été invité apporte une supplémentaire sur cette relation. Stanley Dunham était enceinte de trois mois au moment du mariage, puisque Barack Obama est né six mois et deux jours après, ce qui peut expliquer pourquoi le mariage a été célébré dans la précipitation sans témoin. Barak Obama Sr est parti d’Honolulu juste après l’obtention de son baccalauréat en Econométrie...
Quand ses adversaires noirs lui rappellent qu’ils n’ont pas le même passé esclavagiste qu’eux, que la conscience noire américaine a été acquise au bout de plusieurs siècles d’asservissement, Barack Obama rappelle le sort réservé à ses propres grands-parents africains, qui ont dû se battre d’arrache-pied pour se libérer de l’esclavage puis du joug colonial. Son grand-père était cuisinier du colon britannique. Jusqu’à sa retraite à 60 ans, Hussein Onyango n’a pas eu droit à un nom. Il se faisait appeler « garçon »... En 1952, la révolte Mau Mau, une organisation secrète des Kikuyu, est sévèrement réprimée. 13 000 d’entre eux sont tués, 80 000 internés. Le mouvement indépendantiste épousera les mêmes contours ethniques qui vont marquer l’histoire politique du Kenya. Quand Jomo Kenyata prend la direction de la Kenyan african national union (KANU), Daniel Arap Moï fait sécession à la tête d’un groupe d’ethnies minoritaires et fonde la Kenyan african democratic union (KADU).. Barak Obama Sr arrive à Nairobi en 1965, deux ans après l’indépendance du Kenya. Le pays, un des plus vastes et des plus riches du continent africain, est dirigé par un homme charismatique qui marquera l’histoire de l’Afrique entière, Jomo Kenyatta. Le jeune Obama arrive à Naïrobi avec une épouse américaine, Ruth, avec laquelle il s’installe dans la capitale administrative, en compagnie de ses deux enfants Auma et Roy, issus de son premier mariage avec une de ses cousines nommée Keiza. Il s’est séparé d’elle quand l’américaine Ruth a refusé de cohabiter dans un ménage polygame. Mais les liens du mariage traditionnel n’ont jamais été défaits. Cette relation se transformera par la suite en une polygamie de fait puisque quatre enfants naîtront de cette double relation : Mark et David, enfants de Ruth, nés dans la maison familiale de Westlands, Abo et Bernard, de sa cousine Keiza. Le jeune économiste travaille comme cadre supérieur dans la compagnie néerlandaise Shell, et mène une vie de jeune cadre prospère avec sa nouvelle garde composée de dignitaires du régime, tous diplômés des mêmes universités occidentales. Le Kenya du début des indépendances est un équilibrage réussi entre les Kiyuku du président de la République Jomo Kenyatta et les Luo du vice-président Odinga, père de Raïla Odinga, devenu plus tard opposant puis Premier ministre du Kenya. C’est grâce au vice-président Odinga que Barak Obama Sr obtient une place dans le gouvernement comme directeur de cabinet du ministre du Tourisme... Cet équilibre enviable dans l’un des pays les plus prospères d’Afrique de l’Est ne dure pas longtemps. Il vole en éclats quand l’entourage du président Kenyatta accuse le vice-président Odinga de nourrir des ambitions présidentielles. Quand Odinga programme la création de sa propre formation politique, il est placé en résidence surveillée par les hommes de main du président Kenyatta. Les intellectuels Luo sont accusés de conspiration communiste, tués ou jetés en prison. Tout un groupe ethnique paiera pour cette déclaration d’ambition. Des manifestations de rue s’organisent. Entre 1966 et 1967, le Kenya bascule dans la guerre civile, un peu à l’image de ce qui s’est passé en décembre 2007 entre Mwaï Kibaki et Raïla Odinga, faisant basculer le pays dans une guerre civile meurtrière. Alors que ses amis se font discrets et essaient de survivre dans ce climat tendu favorable aux Kiyuku, Barak Obama Sr élève la voix et continue de dénoncer l’injustice dont sont victimes les Luo dans l’administration Kenyatta. Il dénonce les promotions politiques qui se font par-dessus sa tête, alors qu’il est l’un des rares économistes directement sorti de la prestigieuse université de Harvard avec un doctorat. Dans de nombreuses contributions écrites dans la revue « Est african journal », le docteur en Economie critique ouvertement les voies du socialisme empruntées par le régime du président Kenyatta. Très remonté, Jomo Kenyata convoque Barak dans son bureau pour le menacer de représailles. « Tu vas tellement galérer que tu n’auras plus de chaussures à mettre à tes pieds », lui aurait lancé le puissant Kenyatta au cours d’une audience restée mémorable. Une longue traversée du désert commence alors pour « Doctor Obama », qui entretient durant cette période une correspondance nourrie avec son ex-épouse hawaïenne retournée en Indonésie pour terminer ses recherches en anthropologie. Il est démis de ses fonctions dans le gouvernement, et en raison de son altercation avec le président Kenyatta, aucune compagnie privée ne souhaite le recruter, par peur de représailles. Barak Obama Sr tente alors de trouver du travail dans les organisations sous régionales et internationales. Mais à l’aube des indépendances, il faut bénéficier du parrainage des chefs d’État pour se faire recruter. Au bout de deux années de recherches effrénées, une proposition lui vient de la Banque africaine de développement (BAD), installée à Addis-Abeba. Mais il n’est pas au bout de ses peines. La veille de son départ pour la capitale éthiopienne, son passeport de service est révoqué, sans aucune forme d’explication. Obama Sr tombe alors dans un état de dépression qui ne le quittera presque jamais, et causera sa mort dix ans plus tard. La maison familiale, qui ne désemplissait jamais, est désertée par les anciens amis qui évitent de s’afficher avec l’économiste grincheux. Il déserte lui-même la maison, arrive ivre et colérique les soirs, réveille souvent son épouse Ruth, qui finira par l’abandonner. Alcoolique, sans le sou, abandonné par sa femme, Barak est victime d’un grave accident de la circulation qui a failli lui coûter la vie. Nous sommes en 1971. Il traîne ses enfants de maison à maison, s’endette pour les nourrir ou pour continuer sa vie de noctambule dans les bars de Nairobi. C’est dans ces conditions qu’il quitte ses enfants pour retrouver son ancienne épouse hawaïenne, officiellement pour terminer une convalescence entamée à Nairobi. Obama Sr promet à ses enfants, désormais seuls sans mère, qu’il rentrerait au Kenya avec leur frère Barack et Stanley Ann. Un mois après cette promesse, Ils sont déçus de le voir rentrer sans le petit Barack et sa mère. Le petit métis d’Honolulu n’a pas du tout apprécié la présence d’un père qui le punissait souvent et l’obligeait à apprendre ses leçons. On ne le saura jamais, mais Barak Obama Sr était peut-être retourné à Honolulu avec la ferme intention de ramener son ancienne épouse et son fils Barack à Nairobi. Son ton acariâtre et l’hostilité de son ex-belle famille l’ont peut-être dissuadé, et qui sait, cela a changé le cours de l’histoire du futur candidat à la présidentielle américaine. Le sénateur Obama raconte que pendant ces vacances, le climat familial était devenu si tendu que « grand-père reprochait à Papa de s’assoir sur sa chaise », alors que « grand-mère criait, en lavant la vaisselle, qu’elle n’était la servante de personne ». La volonté du père de refaire sa vie avec Ann Dunham est d’autant plus plausible que dans ses correspondances ultérieures adressées à son fils, Obama Sr insistait sur le fait que s’ils le voulaient, Barack, sa mère et sa soeur Maya avaient leur place à côté de lui au Kenya. Toujours est-il qu’à son retour à Nairobi, la pauvreté gagne tellement Barak Obama que sa famille se disloque, certains enfants survivant grâce aux pensions allouées par les organismes de charité. Ce n’est qu’à la mort de Jomo Kenyatta, le 22 août 1978 et l’arrivée de Daniel Arap Moi, d’ethnie Kalinjin, que de nouvelles perspectives de carrière s’ouvrent pour celui qui exige sans trop convaincre qu’on l’appelle encore « Doctor Obama ». L’argent et la prospérité reviennent dans la famille, quand Barak Obama prend du service au ministère des Finances du Kenya. L’économie du pays est prospère, son agriculture florissante. Les exportations vers la Mer Rouge et le Pacifique assurent au pays un avenir radieux. Mais cette prospérité et ce retour en grâce arrivent trop tard pour Barak Obama. Presque trop tard. Il vit dans une chambre d’hôtel seul sans ses enfants. Il noie ses souvenirs amers dans l’alcool et change souvent de femme. Barack Obama Sr meurt dans un tragique accident en 1982, peu après la naissance de son dernier enfant Georges, le neuvième du clan Obama. Il n’aura pas le temps de revoir son fils Barak et Ann Dunham, qu’il continuait de considérer comme sa femme...
Source : Barack Obama : Le conquérant africain/Jules S. DIOP : K-Mat éditions ; Isbn 978292372600-7, PP.191, août 2008
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