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Oumou Sy (Styliste) : ' Farba Senghor a mis le feu au Métissacana '

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Oumou Sy (Styliste) : ' Farba Senghor a mis le feu au Métissacana '
En 2001, alors qu’elle s’apprêtait à aller en Libye pour participer aux festivités marquant le 32e anniversaire de la prise du pouvoir par le Colonel Khadafi, Oumou Sy est arrêtée, en compagnie des deux sœurs Campbell. On leur reproche d’entretenir un réseau de proxénètes. Elle passera 33 jours en prison avant de bénéficier d’un non-lieu. Huit ans après, la styliste savoure une petite renaissance avec le retour de la Semaine internationale de mode (Simod), tenue du 12 au 22 juin à Dakar. Mais la blessure a du mal à se cicatriser. C’est une femme encore meurtrie qui parle. Elle accuse l’ancien ministre Farba Senghor d’avoir mis le feu au Métissacana, premier cybercafé de l’Afrique de l’Ouest, et l’Etat d’avoir monté ‘l’affaire des cent mannequins’ pour l’éloigner du secteur des télécoms.

Wal Fadjri : Comment avez-vous vécu ce retour de la Simod après huit ans d’interruption ?

Oumou SY : C'est quand même une satisfaction, du moment où la population est heureuse. Tout le monde a apprécié le retour de la Simod. J'ignorais l'ampleur qu’elle avait. Mais j'ai vu que les gens le prennent au sérieux. Cette sixième édition, qui se déroule huit ans après la cinquième, a été faite avec le plan B, soit avec 30 millions de francs Cfa. Mais ce qui avait été initialement prévu était plus ambitieux. On l'a cependant fait avec amour et détermination. Nous voulions le reprendre avec force, mais on a fait avec les moyens qu’on avait. Le ministère de la Culture nous a octroyé quatre millions, le Fesman 1 million, deux sociétés privées, nous ont donné chacune 500 mille francs Cfa. Le reste, ce sont des fonds propres. Normalement, la Simod doit être rentabilisée, mais nous n'avons pas pu vendre de tickets. Car le Métissacana était trop petit, il n'y avait que 500 places. Nous nous sommes donc limités aux invitations.

Wal Fadjri : Pourquoi ne pas l’avoir organisé à la Place du souvenir africain ?

Oumou SY : Je ne suis jamais allée à la Place du souvenir (sur la corniche ouest à Dakar, ndlr). On ne m'y a jamais invitée. Il paraît qu'il y a trois jours, (le mardi 30 juin, ndlr) il y avait une visite guidée, je n’y étais pas conviée, je ne suis pas dans leur carnet d'adresses.

Wal Fadjri : Avez-vous rencontré les nouvelles autorités de la Culture dans ce sens ?

Oumou SY : L’ancien ministre de la Culture, Mame Birame Diouf, m'invitait souvent. Au début de son mandat, il m'a convoquée à son bureau pour me demander de faire une croix sur tout ce qui s’était passé (allusion à ‘l’affaire des cent mannequins’ ndlr) et de m'impliquer dans les activités culturelles. Je lui avais alors dit que j’étais en train de retrouver l’amour de travailler pour mon pays. Dans notre culture, lorsqu’il y a problème, en tant que Sérère, Mame Birame Diouf est mieux placé pour me parler, au nom du cousinage à plaisanterie. Je préfère donc que, dans de pareils cas, on m'envoie un Sérère ou un Diola, car ils sont mes ‘cousins’, ou quelqu'un qui est dans une famille religieuse, car je suis une chérifienne, au lieu de m’envoyer un Farba Senghor pour me parler… Ça, je ne l’accepterai jamais !

Wal Fadjri : Dans quel but Farba Senghor était venu vous rencontrer ?

Oumou SY : On l'a envoyé à moi après ‘l'affaire des cent mannequins’. Je ne l'ai pas écouté. Je n’ai rien à voir avec lui. Parce qu’il avait pris des gens pour saccager, à volonté, le Métissacana. Avec des piques et des pelles, ils ont cassé les sous-verres. Et, il a pris de l’essence de sa voiture qu’il a versée sur le bar du Métissacana, il a sorti son briquet et allumé. C’est ce que Farba Senghor m’a fait !

Wal Fadjri : Quand est-ce que cela s’est passé ?

Oumou SY : C’était un an après ‘l’affaire des cent mannequins’. Et quelques mois plus tard, il était nommé ministre. Farba Senghor n’a jamais réparé cela. Je le laisse à Dieu.

Les jeunes libéraux du Plateau avait pris la salle du Métissacana pour tenir une réunion politique. C’est ici, depuis la campagne de 2000, qu’ils organisaient leurs rencontres politiques. Alors pourquoi, après ma sortie de prison, devrais-je leur interdire la salle du Métissacana. Je n’ai pas de rancune. Ils étaient donc là, ce jour-là, pour une réunion politique. Ils se sont battus entre ‘frères’ politiques. J’ai appelé le commissariat central et celui du Plateau. La police est venue au Métissacana avec deux cars. Elle a constaté qu’il n’y avait qu’un seul parti, et elle s’est gardée d’intervenir. lls cassaient les chaises, les pots de fleurs, etc. et les jetaient par les fenêtres. Il y avait trois cents chaises en rotin sur la terrasse, c’était un sac énorme ! J’ai gardé dans des malles tous les débris de chaises, un jour ou l’autre on en parlera. Lors d’une conférence de presse, un journaliste a demandé à Farba Senghor s’il a réparé les dégâts causés au Métissacana ? Il a argué que je n’avais pas porté plainte ; ce n’est pas vrai.

Wal Fadjri : Aviez-vous porté plainte après les faits ?

Oumou SY : J’ai porté plainte. Je suis venue dès qu’on m’a dit qu’ils ont commencé à sortir des coupe-coupe, des pistolets. J’ai pris un taxi, les pieds nus. J’ai même dû sortir du taxi pour marcher vers le commissariat, car la circulation était dense. Quand Farba m’a vue devant le Métissacana, il est rentré dans sa voiture. Mais un de ces gars a bien vu que la police a enregistré ma plainte. J’ai ensuite pris les services d’un huissier pour constater les dégâts, un photographe a pris des images et, avec les coupures de presse, j’ai constitué un document de preuves que j’ai remis à Me Aïssata Tall Sall. Il y a eu des blessés dans cette affaire, des gens ont passé la nuit à l’hôpital, mais personne n’en parle. Farba Senghor n’a pas réparé le Métissacana. Si maintenant quelqu’un veut me réintégrer dans la société pourquoi m’envoyer un Farba Senghor ? S’il me demande un service, je refuse. J’ai des parents au Sénégal. Je ne suis pas une étrangère ici. Je suis une Sy et je suis une Aïdara. Vous m’envoyez un Ly, un Kane ou un Wane, oui je peux comprendre, car ils sont mes cousins, mais pas un Farba Senghor ! Depuis lors, personne ne m’a plus jamais appelée, à part Mame Birame Diouf.

Wal Fadjri : Et comment vivez-vous cette situation d’isolement ?

Oumou SY : Je prends les choses comme elles viennent. Nul n’est prophète chez soi. Si je suis écartée ou mal considérée, ce n’est pas de ma faute. Ils le font peut-être inconsciemment. Mais celui qui vit cette situation doit le faire avec grandeur. J’ai reçu un e-mail de ceux qui s’occupent du Fesman en France, me disant : ‘Mme Sy, comme vous avez déménagé du Sénégal pour la Mauritanie, nous allons vous inviter en tant que résidente mauritanienne et chercher un styliste confirmé pour vous accompagner et représenter la Mauritanie au Fesman.’ Je n’ai pas répondu par e-mail à cette personne. J’ai pris mon téléphone pour l’appeler, malheureusement je suis tombée sur son répondeur. Je lui ai dit clairement que mon passeport sénégalais, jamais je ne le changerai. Si vous voyez là, avec Jacques Chirac en 2007 - (elle indique une photo où on la voit souriante, en compagnie de l’ancien président français, ndlr) - il m’a demandé : ‘Quand est-ce que vous avez reçu votre passeport français ?’. Je lui ai dit que, jamais, je ne prendrai le passeport français. Celui du Sénégal, avec son lion et son baobab, me suffit. J’en suis fière. Et, c’est quelque temps après cette rencontre, que j’ai reçu la distinction de Chevalier de la Légion d’honneur française : un matin, vers sept heures, le président Chirac m’appelle et me dit : ‘Vous êtes Chevalier de la légion d’honneur française.’ Je lui ai aussitôt répondu que je n'avais pas fait la guerre. Il m’a dit : ‘C’est parce que vous avez travaillé loyalement pour la France et pour votre pays, et que vous êtes pionnière dans le monde avec ce que vous faites dans les Ntic et dans l’art.’

Wal Fadjri : Pourquoi Chirac voulait-il que vous ayez la nationalité française ?

Oumou SY : Moi, je prends cela comme une offense. Peut-être qu’ils ont senti qu’il manquait quelque chose chez moi, et que si je viens chez eux, j’aurais plus d’espace. Je leur ai fait comprendre que si vous voulez que je me sente bien, faites de chez moi un endroit habitable. Je ne peux pas laisser ma population et mes villages pour vivre en Europe. Je peux aller et revenir. Les jeunes nous prennent pour des modèles, si nous voyageons, ils nous suivront.

Wal Fadjri : Dans l’affaire des cent mannequins, vous avez été accusée de proxénétisme, détenue, puis relâchée. Comment avez-vous vécu cette affaire ?

Oumou SY : Mentir, c’est de l’art. Il faut savoir bien le faire. Il y a de ces histoires qui sont à la limite ridicules : qu’un chef d’Etat (Mouammar Khadafi, ndlr) affrète un avion pour que des artistes prennent part à l’anniversaire de son accession au pouvoir, je ne vois pas où est le mal. Mais qu’on mette trois personnes en prison et, deux jours après, qu’on laisse l’avion officiel repartir avec d’autres délégations, je trouve cela ridicule. C’est tellement ridicule… (Elle reste silencieuse un bon moment) En plus, inventer des histoires sur cette personne, pendant deux à trois mois pour finalement sortir un non-lieu, c’est aberrant. Paradoxalement, ce chef d’Etat est invité d’honneur à chaque fête de l’indépendance du pays où toi, en tant que citoyenne, tu as été bafouée, salie et blessée dans ton amour propre. C’est ridicule ! Mon pays que j’adore, ce Sénégal que j’aime, qu’une chose pareille m’y arrive, je me dis que cela ne peut arriver qu’à moi. Parce que si c’était quelqu’un d’autre, peut-être qu’il se serait suicidé ou allait devenir fou, déprimer ou cela aurait perturbé son travail. Non, au contraire, cela m’a rendue plus crédible. Ils ont laissé la justice faire son travail. J’ai refusé toutes les interventions. Dans les familles religieuses, ou dans ma propre famille chérifienne, j’ai demandé à ce que personne n’intervienne. C’était pour voir si l’art est sale ou propre. Et à travers cette affaire, on a démontré que l’art est propre. Moi, si j’étais sale, je ne serais pas connue à travers le monde. La mode n’existerait pas dans les pays musulmans si elle était sale. Mais, je suis propre et j’ai rendu l’art propre. C’est pourquoi j’ai dit dans ma dernière collection : ‘l’art est lumière, l’art apporte la lumière.’

Wal Fadjri : Votre nouvelle collection Art et Lumière est donc une réponse à ce que vous avez vécu en prison ?

Oumou SY : Je ne pouvais pas dire l’art est prison. Car je n’étais pas prisonnière. J’étais partie en mission. Je gérais beaucoup de choses en prison. J’ai fait 33 jours de prison. En ce moment, les Layènes me prennent comme une sainte. Celui qui vient de décéder (Chérif Ousseynou Laye, décédé le 1er juillet, ndlr), me disait toujours : ‘appelle-moi au téléphone à 17 heures, je veux entendre ta voix’. Je ne le faisais pas, je ne pouvais pas appeler tous les jours une personnalité.

Cette affaire a donné une crédibilité au milieu pour montrer que ce n’est pas tous les artistes qui sont sales. Je suis dans l’art et j’y reste, car j’ai les mains propres.

Wal Fadjri : Derrière votre arrestation, vous soupçonnez un plan ourdi pour éloigner le Métissacana du secteur des télécommunications …

Oumou SY : Si ‘l’affaire des cent mannequins’ a eu cette ampleur, c’est parce que je devais développer le net dans les campagnes, connecter les 13 700 villages du Sénégal avec un partenaire, Alcatel. Quand on a vendu la filiale mobile de la Sonatel à France télécoms, il y a eu un problème de bande passante et Alcatel ne voulait pas signer avec l’Etat, mais avec le privé, avec moi. L’Etat du Sénégal voulait, quant à lui, signer avec Alcatel et non avec le privé. Quand on m’a refusé la licence, je me préparais pour aller en Libye pour cinq jours. J’avais alors prévu, dès mon retour, de tenir un point de presse pour dénoncer la concurrence déloyale de France télécoms. Il s’est trouvé qu’au même moment, j’ai été arrêtée et emprisonnée. C’est pourquoi toute la presse internationale était au courant de cette affaire, car elle était déjà à Dakar. Il fallait alors inventer quelque chose pour me mettre en prison et taire cette affaire. Mais, il fallait juste me dire : ‘Oumou Sy, occupe-toi de ta mode et laisse l’Internet’, au lieu d’inventer cette histoire ridicule ; je l’aurais fait.

Propos recueillis par Fatou K. SENE & Bamba DIAGNE (Stagiaire)



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