Pionnier du 7e art sénégalais et africain, Sembène Ousmane a consacré un demi-siècle de sa vie à l’examen lucide, et sans complaisance, des problèmes sociaux de son temps. Par le biais de sa cinématographie davantage que de ses romans, il s’est révélé un grand critique social.
«Quand on crée, il faut avoir l’ambition de parler à ses contemporains.» Telle était la réponse de Sembène à Bérénice Balta de Radio France Internationale, lors du Fespaco 2005, à la question de savoir si le film Moolaadé était sa contribution d’aîné.
Voilà résumée en un credo aussi tranché que conforme aux principes de l’homme, l’éthique qui a nourri toute l’œuvre aussi bien littéraire que cinématographique de Sembène Ousmane, jusqu’à l’ultime séquence d’une vie faite de luttes, de souffrances et d’engagements.
Nourrie selon le mot de notre confrère de l’Agence sénégalaise de presse, Aboubacry Demba Cissokho : «Des vertus de l’éthique ceddo, qui ont noms : amour de la liberté, fierté d’appartenir à une culture et refus systématique de toute aliénation», l’œuvre de Sembène est, avant tout, une critique sociale sans concession. Par exemple, à travers son œuvre littéraire, antérieure à celle cinématographique, il s’est employé à une critique féroce de la domination coloniale et de ses conséquences sur les colonisés.
De l’Afrique coloniale, il en a dénoncé les injustices du système de domination, en ce qu’il nie la dignité des peuples africains et les installe dans une aliénation culturelle et spirituelle.
Ainsi, à travers «les Bouts de Bois de Dieu» (1960), il relate la grève héroïque de femmes et d’hommes du chemin de fer Dakar-Niger, qui se sont élevés contre les traitements discriminatoires dont ils étaient l’objet vis-à-vis de leurs camarades métropolitains.
Avant la lettre, l’importance qu’il accorde à la question de la dignité de la femme est déjà perceptible dans son oeuvre.
Mais, en dépit d’une oeuvre littéraire de bonne étoffe et dont le réalisme du vécu des personnages, rappelle les romans de l’école réaliste, Sembène privilégie le cinéma qu’il considère comme une «école du soir», donc idéale pour l’éducation des masses.
L’accession à l’indépendance des Etats africains ne le détourne pas, pour autant, de sa fonction de critique des nouveaux régimes politiques mis en place ainsi que des travers et turpitudes que secrètent les nouvelles élites bourgeoisies. Thème abordé dans son film Le Mandat (1968) qui a reçu le Prix de la Critique internationale au Festival de Venise.
En artiste engagé, Sembène s’est emparé de tous les grands problèmes de son époque. Par exemple, dans Ceddo (1976), il traite de la question du sort fait aux croyances traditionnelles africaines et de leur survivance, dans une société maintenant islamisée. D’ailleurs, à propos de ce film, sa passe d’armes avec le Président Senghor, est restée mémorable.
«Opiniâtre s’il s’agit de défendre ses idées», selon Cheikh Ngaido Bâ, Président de l’Association des cinéastes sénégalais, Sembène refusa catégoriquement de se conformer au décret présidentiel sur la transcription des langues nationales qui voulait que le «D» du mot «Ceddo» se transcrive avec un seul «D», donc pas géminé, comme l’avait voulu Sembène. Résultat, le film fut censuré jusqu’à l’accession de Diouf au pouvoir en 1981.
Dans la même veine, Guelwaar (1992), du nom de nobles, descendants des conquérants Malinkés, fustige la fatalité de l’assistanat et de la main tendue, érigée en politique par nombre d’Etats africains, envers l’Occident et les institutions de Bretton Woods.
Outre son rôle de critique social, l’auteur de La Noire de...(1966), anticipe sur les grandes problématiques de son temps, telle que la question de l’émancipation sociale de la femme.
Aussi, dans un ultime baroud d’honneur pour explorer ce qu’il appelle «l’héroïsme féminin au quotidien», réalise-t-il les deux premiers films d’un triptyque. Quand Faat Kiné’(2000) célèbre une femme sénégalaise célibataire et indépendante et élevant seule ses enfants, Moolaadé (2003) (Droit d’asile en Bamanan), et tourné au Burkina, met en scène, par contre, la lutte des femmes contre l’excision. Acclamé sur le plan international, le film fut récompensé du prix «Un certain Regard», au Festival de Cannes en 2004.
Enfin, le 3e de la série La confrérie des rats devait traiter de la corruption des élites africaines, où est mis en scène, un juge qui sera assassiné en pleine ville et qui enquêtait sur une affaire d’enrichissement illicite.
En fin de compte, l’héritage cinématographique, tout autant que littéraire de «l’aîné des anciens», est considérable et les thèmes marquants sont l’exigence d’authenticité, l’amour de la liberté et le refus de toute aliénation des peuples africains.
Cependant, en humaniste, il ne saurait circonscrire son message à l’Afrique exclusivement. Ainsi, en guise de testament aux nouvelles générations de cinéastes africains, lance-t-il : «Travaillez, refusez de vous enfermer, de vous couper des autres, de vous replier sur l’Afrique. Votre ambition doit englober toute la planète.»
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