A quoi sert Claudy Siar, militant et star du zouk, en Sarkozie ?

C'était le type qui avait tout bon. Mais recruté par Sarkozy à l'Outre-mer, Siar s'expose aux critiques. Nouvelle victime de l'ouverture ?

Jusque-là, tout lui avait réussi. Sa radio, Tropiques FM, radio communautaire qu'il dit « bénéficiaire », est écoutée autant que TSF Jazz (1,3% d'audience cumulée sur janvier/mars). Il est une méga-star en Afrique francophone : les jeunes essayent de le toucher quand ils le croisent.

Il est le grand présentateur de l'émission musicale « Couleurs tropicales » diffusée sur RFI et du programme Africastar. Une sorte de « Star Academy » à l'échelle d'un continent, avec des dizaines de millions de téléspectateurs. Guy-Roger, de Côte d'Ivoire, devant la boîte africaine parisienne Le Titan (place de Clichy), samedi soir dernier :

« Un mec qui fait vivre les artistes comme lui, de DJ Jacob à Papa Wemba, est forcément bon. On l'aime beaucoup beaucoup. »

Claudy est aussi un chanteur (deux albums au compteur) connu pour avoir inventé cette expression à la mode, mystérieuse et pléonastique :« Toi-même tu sais » (c'est le titre d'une de ses chansons). (Voir le clip de « Yakusa-Zouke Décalé » de Claudy Siar)

Basile Boli : « C'est un humaniste »

Il est le Nagui de l'Afrique – en plus célèbre et beaucoup plus politisé. Quand il ne travaille pas, il milite. Plutôt avec des personnalités de gauche. Il a 46 ans et mène depuis toujours et avec constance un combat pour l'égalité des Noirs et des Blancs. (Voir la manifestation devant une boutique Guerlain après les propos du parfumeur sur les « Nègres »)

C'est le moteur de sa vie depuis qu'il a 10 ans. A cet âge-là, il habitait dans un village de Haute-Provence et a appris, en lisant le Courrier de l'Unesco, que les mineurs noirs étaient moins bien payés que les mineurs blancs parce qu'ils étaient noirs. L'anecdote est parfaite.

L'ex-footballeur Basile Boli dit de lui :

« C'est un humaniste qui fait passer des messages forts et qui va au bout de ce qu'il fait. On ne peut pas lui contester ça. »

Le patron de radio croit être en mesure de changer le monde et c'est ce qui l'a fait basculer en politique. Depuis mi-avril, il porte le titre de délégué interministériel pour l'Egalité des chances des Français d'outre-mer.

A partir de maintenant, tout peut arriver (c'est la loi Eric Besson). Claudy Siar est maintenant un type exposé et critiqué. Revue des flèches qui lui sont adressées.

« Sarkozyste ! »

Mardi 10 mai, comme chaque année, Claudy Siar fêtait l'abolition de l'esclavage. Changement de décor pour l'organisateur des Marches des libertés en 2008. Dans les jardins du Luxembourg, il accompagnait Nicolas Sarkozy pour une cérémonie et le dévoilement d'une stèle.

George Pau-Langevin, députée PS, s'énerve de voir « partir » avec Nicolas Sarkozy un homme qui avait une image de gauche dure, « avec ses revendications pour les banlieues ».

Un collaborateur de Tropiques FM s'étonne de ce « virement de bord » au moment où Nicolas Sarkozy fait du pied à l'extrême droite. Il dit que Claudy Siar était très « choqué » par le débat sur l'identité nationale.

La veille, Claudy Siar avait reçu Rue89 au ministère de l'Outre-mer dans ses bureaux temporaires (ceux dans lesquels il va bientôt s'installer sont plus lumineux et plus propres). La photo du Président le regarde, accrochée au mur.

« Etes-vous subitement devenu sarkozyste ?

– Non. A 16 ans, j'aimais Mitterrand. Depuis, je ne me prononce pas et je ne suis encarté nulle part. Je ne travaille pas pour Nicolas Sarkozy mais pour le peuple. Personne ne m'a demandé de prendre la carte UMP. Je n'allais pas m'empêcher de faire quelque chose parce que c'était la droite qui me le proposait. »

Echange de bons procédés

Un avocat (qui aurait pu prétendre au poste de Siar) assure qu'il y a eu échange de bons procédés : Claudy Siar possède une radio qui peut servir à Nicolas Sarkozy pour amadouer la communauté ultramarine en Ile-de-France en 2012, tandis que Nicolas Sarkozy est en mesure de donner à Siar une émission tant désirée depuis des années sur France Télévisions. Le délégué interministériel s'indigne :

« Quelle erreur ce serait de faire ça ! C'est une injure faite aux journalistes de Tropiques FM et aux Ultramarins qui écoutent. Quant à une émission sur France Télévisions, j'essaye depuis longtemps et c'est vrai que cela ne marche pas, mais ce n'est pas grâce à un renvoi d'ascenseur qu'on obtient un programme. »

Sur ce point, la députée Christine Taubira le soutient :

« Tropiques FM est une radio écoutée, mais non prescriptrice. Et je vois mal un journaliste comme Jean-Jacques Seymour se laisser dicter quoi que ce soit. »

« C'est un emploi fictif »

Le poste a-t-il du sens ? L'écrivain guadeloupéen Claude Ribbe explique que la délégation est un objet décoratif. Selon lui, elle a été créée pour remercier Patrick Karam de ses « services rendus » pendant la campagne de Nicolas Sarkozy. Si elle n'a pas été supprimée à son départ, c'est parce qu'on est en pleine année des outre-mer.

L'historien explique aussi que le « périmètre » de la délégation est absurde : la lutte contre les discriminations et le racisme touche « toutes » les personnes de couleurs, pas uniquement celles d'outre-mer (exemple avec l'affaire Laurent Blanc, par exemple, pour laquelle Claudy Siar a fait un communiqué long comme une dissertation). Les problèmes de Wallis-et-Futuna ne sont pas ceux de la Guadeloupe, ajoute l'écrivain.

La députée Christiane Taubira, qui « aime bien Claudy », pense à peu près la même chose. Elle n'a jamais compris à quoi ce poste servait. Elle se demande ce qu'il va bien pouvoir bien faire en moins d'un an, à part quelques « événements médiatiques tape-à-l'œil » – son riche carnet d'adresses à l'appui.

Claudy Siar : pas là pour le show

Claudy Siar jure ne pas être là pour faire « un show télé ». Pour nous donner un exemple de ce qu'il va faire, de la « multitude de problèmes spécifiques qui touchent la communauté », il ouvre Le Monde à la page 30, celle de la météo, et nous montre l'Hexagone. Silence. Puis :

« Ce n'est que ça la France ? Les Ultramarins sont-ils des citoyens de seconde zone qui ne méritent pas d'être sur la carte ? C'est un des chantiers sur lesquels nous allons travailler. »

Claudy Siar assure avoir réfléchi deux mois avant d'accepter la proposition de l'Elysée. Il dit avoir négocié une feuille de route préalable (divulguée le 26 mai). Son budget, par rapport à son prédécesseur, a augmenté d'environ 30% (pas loin de 200 000 euros). L'ex-animateur souhaite changer « le regard » que l'on porte sur l'outre-mer et « reconstruire l'imaginaire des uns et des autres » :

« Je veux que l'Ultramarin, en voyant le train passer, se dise qu'il a le droit de monter dedans et de s'asseoir où il veut. »

« Le choix du zouk et du boudin »

Pour l'avocat ultramarin cité plus haut, le choix d'un homme de médias n'est pas dans l'intérêt de la communauté :

« Il n'a pas de culture administrative. On a encore pris l'outre-mer avec légèreté, comme s'il s'agissait de zouk et de boudin. »

Christiane Taubira, à la rescousse :

« Je pense qu'il est là pour donner des impulsions et des idées et qu'il en est capable. »

Claudy Siar n'a pas envie de parler diplômes. Il n'aime aborder le sujet qu'avec son ami Michel Drucker, un autre autodidacte : « Je ne complexe pas, mais si vous grattez trop c'est douloureux. » Il explique avoir comme seul bagage « l'engagement, la volonté et la sincérité ».

Il peut aussi compter sur une conseillère en communication solide : Nadia Dussol, ancienne attachée de presse de Lionel Jospin. Et sur un directeur de cabinet « sous-préfet » et un chef de cabinet, « jeune surdiplômé et expert parti faire des études aux Etats-Unis ».

« C'est un pote de Dieudonné »

Fin avril, Le Canard enchaîné et LePoint.fr ont frappé fort. Ils ont rappelé que Claudy Siar avait soutenu, dans le passé, Dieudonné et la Tribu Ka (mouvement pour le peuple noir). Claudy Siar ne pense pas avoir soutenu l'humoriste trop longtemps :

« J'ai soutenu Dieudonné en 2004, au moment de la polémique sur le sketch chez Fogiel [“Isra'Heil”, ndlr] parce que c'était un copain et surtout parce que je suis pour la liberté d'expression. Je l'ai soutenu jusqu'au moment où il a parlé de pornographie mémorielle. Le mot pornographie, c'était inacceptable. »

Quant à la Tribu Ka, Claudy Siar a désarmorcé la polémique dès le début de notre rendez-vous, en racontant devant nous à sa conseillère en communication :

« Je viens de raccrocher avec Fabrice Eboué [humoriste français et comédien, ndlr] qui a des problèmes avec la Tribu Ka pour son film. Il se fait emmerder. Je lui ai donné des conseils. »

On lui reproche aussi des prises de position en faveur du LKP d'Elie Domota, en Guadeloupe. Il dit :

« Sur Tropiques FM, nous n'avons pas pris parti, mais rendu compte de la situation [en tapant sur la table à chaque syllabe, ndlr]. Je n'ai pas appelé à la violence. J'ai toujours été raisonnable. »

« C'est un ambitieux »

Un collaborateur de la radio pense que Claudy Siar a accepté le poste parce que les lieux de pouvoir le fascinent depuis toujours. Il était « envieux » quand son amie Rama Yade est entrée au gouvernement : c'était « Rama par-ci, Rama par-là. » Il côtoie des chefs d'Etat africains.

Souffrait-il d'un besoin de reconnaissance, comme ces Ultramarins dont il parlait et qui n'osent pas monter dans le train ?

« Non, je n'ai aucun complexe. Il s'agit juste de l'engagement d'une vie. Je n'avais pas besoin de ça, j'ai perdu de la liberté. »

Jacques Martial, président du parc de la Villette, qui a refusé le poste de délégué interministériel avant qu'on ne le propose à Claudy Siar, le trouve courageux :

« Il est soudain en situation de faire quelque chose. On fait d'un poste ce que l'on veut en faire. »

Aura-t-il le temps ? Claudy Siar va devoir se justifier sur à peu près tout pendant un an.

Préparé, il le fait même quand on lui demande dans quel quartier il habite. « Dans le XVIe arrondissement, pour des raisons pratiques. » Avant, il habitait à Alfortville, sur la Seine. C'était près de l'eau et « ça lui ressemblait beaucoup plus ».