Selon l'expression du journaliste Christophe Boisbouviers, le président a jeté un pavé dans le jardin du chef d'Etat sud-africain. Cette levée de boucliers entre ces deux dirigeants traduit dans toute sa laideur, la guerre larvée que se livrent de nombreux chefs d'Etat à propos de la crise ivoirienne.
Pour reprendre l'initiative dans le dossier ivoirien qui semble s'accommoder de sa mise à l'écart le président sénégalais ne pouvait louper l'occasion à lui offerte par la radio mondiale Rfi au sommet de la francophonie. Faisant fi des us diplomatiques, Abdoulaye Wade a volé dans les ailes du médiateur de l'Union africaine en traitant d'illégitime la dernière visite du président sud-africain à Ouagadougou. De fait, Thabo a, avec le numéro un ivoirien, effectué une visite au chef d'Etat burkinabé en sa qualité de président du Conseil de sécurité et de paix de l'Union africaine. Constatant en effet que la sortie de crise s'installait dans une léthargie, Mbeki a voulu donner un coup de fouet audit processus pour le pousser vers l'avant. Cette initiative qui en définitive peut se comprendre de par sa qualité d'unique médiateur dans la crise ivoirienne n'est pas perçue de la même façon par certains de ses pairs.
Mais, à l'analyse de la sortie tonitruante de Wade, il est évident qu'il ne s'agit plus dans cette affaire d'une question de perception. Ce qui se dégage ici est bien plus sérieux dans la mesure où l'on assiste clairement à l'agrandissement du fossé existant entre les chefs d'Etat africains en charge de près ou de loin du dossier ivoirien. Ce que certains caricaturent comme étant l'opposition de "l'Afrique digne" face à "l'Afrique néocolonial" est véritablement en train de prendre forme. Et ce pour le malheur des Ivoiriens qui doivent bien se poser des questions sur l'opportunité de telles querelles qui retardent la sortie de crise. Que reproche fondamentalement le président du Sénégal à Mbeki ? D'empiéter sur les prérogatives de la Cedeao ou de sortir des sentiers battus des médiations tatillonnes observées depuis le début de la crise.
Dans le fond, le coup de gueule de Wade n'a rien de concret si ce n'est de plomber en amont une initiative qui ne vient pas de lui. De fait, il est des habitudes du président sénégalais depuis les discussions de Lomé, de court-circuiter toutes les tentatives de médiation de ses pairs africains. Cela s'est vérifié avec feu Eyadema et John Kufuor. Mais, cette propension à saboter ses pairs a pris une autre forme avec l'arrivée dans la crise de Thabo Mbeki. Comme s'il avait en face de lui un ennemi à abattre systématiquement, Wade ne se prive pas d'occasions pour saper la médiation du Sud-africain qui sans forcément emprunter la virulence de son homologue, lui rend souvent la monnaie de son impertinence.
Entre les deux hommes existe un contentieux de leadership qui bat son plein. De par la puissance économique de son pays, le Sud-africain fait office de géant incontournable dans le règlement des conflits sur le continent. Or, Abdoulaye Wade se veut l'interlocuteur privilégié de la France depuis que la Côte d'Ivoire est en crise, et dans cette posture, il souhaite être aussi incontournable. Donc, la crise ivoirienne sert de terreau à ce duel à distance. Au-delà de ces éclats de voix et saute d'humeur, c'est l'Afrique qui se perd dans des contradictions idéologiques. Parce qu'à la vérité Wade et Mbeki sont la face visible d'un combat de l'ombre que se livrent des puissances pour lesquelles la crise ivoirienne constitue un enjeu financier et stratégique important. Aussi, lorsque la résolution de la crise prend une tournure qui ne rentre pas dans leur plan, ces "parrains" tapis dans l'ombre suscitent des chefs d'Etat pour donner de la voix et se faire entendre. Ainsi, Mbeki est sorti de son mutisme pour rassurer Laurent Gbagbo avant le mini sommet de New York. Avec lui, Alpha Oumar Konaré semble s'être résolu à faire corps avec les revendications du camp présidentiel. L'opposition ivoirienne qui récuse Mbeki n'est pas restée longtemps sans ses soutiens traditionnels puisque profitant du sommet de la francophonie, Abdou Diouf puis Wade sont venus à sa rescousse. C'est à ce triste spectacle que les dirigeants africains invitent les populations ivoiriennes. Le plus affligeant dans cette honteuse guerre des tranchées, est que les chefs d'Etat semblent ne pas avoir compris qu'ils accréditent de plus en plus, la thèse selon laquelle ils ne sont tous que des instruments manipulés depuis les salons hexagonaux.
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