Lorsque le secrétaire général de la Maison des Morts (Organisation internationale de la Francophonie) est arrivé au Canada, mercredi 10 mai au soir, pour participer à une conférence ministérielle de la Francophonie, il a eu droit à un accueil qu’on ne réserve qu’aux « traîtres » à la cause. Certes, Abdou Diouf n’est pas un « traître ». A l’aéroport de Toronto, il a été soumis à une fouille corporelle systématique et entière comme s’il était un vulgaire trafiquant de drogues. L’insulte est double : d’une part, la rencontre que le secrétaire général de la Maison des Morts espérait avoir avec le premier ministre conservateur, Stephen Harper, n’a pas été obtenue ; d’autre part et comble de l’humiliation, aucun ministre ou sous-ministre canadien n’est venu l’attendre à l’aéroport, alors que les autorités étaient bien au courant de son arrivée, à commencer par la ministre de la Francophonie, Josée Verner.
Autre insulte insupportable pour le patron de la Maison des Morts : les Canadiens ont (rigoureusement) refusé de lui faire des excuses publiques. Ils ont préféré utiliser des formules courtes pour exprimer leurs regrets sincères ( ?). Face à cette honte qui a habité tous les Africains présents à cette conférence, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, a gueulé, se substituant on ne sait pour quelle raison à la Francophonie qui, du coup, n’avait plus personne pour défendre son patron. Gadio entendait ainsi sauver l’honneur des Sénégalais car, devant cette lamentable situation, tout le monde avait oublié la Francophonie. Même le thème de la conférence est passé au second plan. Le cœur de beaucoup de délégués africains n’y était plus.
Ce n’est que bien plus tard que le premier ministre, Stephen Harper, a daigné téléphoner à Abdou Diouf dans le but de détendre le climat que son administration avait rendu lourd. En réalité, personne ne sait exactement ce qui s’est dit entre les deux hommes, sinon que le patron de la Maison des Morts a annoncé, juste après cette conversation rapide que pour lui, l’incident était clos.
Selon certaines sources, les conservateurs canadiens très mécontents du travail d’Abdou Diouf à la Francophonie (Diouf ne vient même pas au bureau sauf quand il reçoit), lui feraient payer sa totale subordination à Jacques Chirac, le chef de l’Etat français. Pour eux, en réalité, le vrai chef de la Francophonie, c’est Jacques Chirac. Ils ne l’acceptent pas. Ils reprocheraient à Abdou Diouf de prendre ses ordres à l’Elysée. Voilà, en gros, ce que disent les conservateurs à voix basse.
L’élection de Diouf à la Francophonie, à Beyrouth, avait fait l’objet de très âpres débats. Choisi et présenté à ce poste (dont il ne voulait pas au départ) par Jacques Chirac (qui avait auparavant imposé l’Egyptien Boutros Boutros Ghali), l’ancien président du Sénégal avait été contesté par le groupe Afrique au sein de la Francophonie mené par le patriarche Ondimba. C’est après avoir menacé de refaire passer Boutros (qui, après avoir annoncé qu’il quittait son poste, avait néanmoins maintenu sa candidature) que Chirac a eu gain de cause, le groupe Afrique se réunissant en plein nuit dans un grand hôtel de Beyrouth, après le dîner offert par le défunt Hafic Hariri, pour prendre acte du diktat du président français : le Congolais Henri Lopès qui avait la faveur de la grande majorité des pays d’Afrique et de l’ensemble de l’espace francophone, a pondu un communiqué très amer de retrait de sa candidature, le lendemain matin, date de la clôture du Sommet.
Sitôt élu, Diouf a tout fait pour être bien vu par les pays de l’Afrique centrale qu’il avait tant humiliés. Il a organisé des grandes réunions à Brazzaville (pour narguer Lopès) et à Libreville avant de se faire décerner un doctorat honoris causa à l’Université de Yaoundé 2. Mais peut-on réellement oublier cette grosse couleuvre qu’on fit avaler aux Africains (surtout) du Centre à Beyrouth ? Dans tous les cas, les conservateurs canadiens, eux, semblent encore s’en souvenir.
Du coup, revient le débat de la présence d’un ancien chef d’Etat à la tête de la Francophonie. Cette fonction, on l’a dit et répété, ne convient pas à un ancien président de la République. Le secrétariat général de l’OIF (transformé en Maison de Retraite par Boutros Boutros Ghali et en Maison des Morts par Abdou Diouf) devrait logiquement revenir à un haut fonctionnaire ou tout au plus, à un ancien chef de gouvernement. Abdou Diouf compte-t-il se représenter à la tête de la Maison des Morts ? Les mauvaises langues disent que le président français le lui a demandé. Et comme il ne peut rien lui refusé, tout laisse penser qu’il sera candidat.
(Afrique Education du 01 au 15 juin 2006) © Copyright Afrique Education
0 Commentaires
Participer à la Discussion