Les autorités taïwanaises, particulièrement efficaces dans la lutte contre le Covid-19, affirment avoir soulevé dès le 31 décembre 2019 la possibilité d’une contagion interhumaine auprès de l’OMS. L’organisation a finalement reconnu le risque de transmission vingt-et-un jours plus tard, le 20 janvier.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en a-t-elle fait assez pour évaluer la contagiosité du COVID-19 ? C’est en tout cas la question que soulèvent les déclarations récentes des autorités de Taïwan, pays démocratique revendiqué par la Chine qui fait aujourd’hui office d’élève modèle dans sa gestion de l’épidémie de Covid-19.
Les autorités de l’archipel autonome affirment en effet avoir transmis le 31 décembre plusieurs courriels à l’OMS et aux autorités chinoises questionnant la possibilité d’une transmission interhumaine après la découverte d’une infection respiratoire dans la ville de Wuhan. Les autorités chinoises venaient le même jour de rapporter officiellement l’apparition de cette nouvelle maladie, tout en précisant qu’aucune contagion n’avait encore été observée.
Exclu de l’OMS en raison de l’obstruction de la Chine, Taïwan n’a pourtant jamais reçu de réponse à ses interrogations. « Nous leur avons demandé s’il y avait une possibilité de transmission interhumaine. Nous avons demandé et réitéré nos questions à ce sujet », a insisté le directeur-général du Centre taïwanais de contrôle des maladies, Chou Jih-haw, lors d’une conférence de presse ce mardi à Taipei. La Chine, et par ricochets l’OMS, n’a annoncé que le 20 janvier un risque de contagion du virus, soit vingt-et-un jours après le courrier taïwanais.
La stratégie payante de Taïwan face à l'épidémie
Contactée par RFI, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît avoir reçu un courriel de hauts-fonctionnaires taïwanais le 31 décembre 2019, « après l’annonce [des autorités de Wuhan] ». « Le message se terminait en demandant si l’OMS avait des informations à partager. [Mais il] ne mentionnait pas la possibilité de transmission interhumaine », précise l’organisation dans sa réponse écrite.
Si la teneur exacte de ces échanges reste inconnue - ni l’OMS ni Taïwan n’ont accepté de rendre public lesdits messages - il n’en reste que la réponse de Taïwan à l’épidémie a bien intégré la possibilité d’une transmission interhumaine dès le 31 décembre. La stratégie s’est avérée payante, puisque Taïwan compte aujourd’hui à peine peu plus de 200 cas, soit 40 fois moins que la Corée du Sud voisine.
Selon le Financial Times, la diaspora taïwanaise présente en Chine, et notamment le personnel médical, aurait contribué à transmettre les indices d’une épidémie naissante avant le premier communiqué chinois.Des messages relayés sur les réseaux sociaux chinois le soir du 30 décembre auraient également mis la puce à l’oreille des autorités taïwanaises.
Prudence de l'OMS ou influence dommageable de Pékin?
De fait, le gouvernement taïwanais impose dès le 31 décembre des contrôles sanitaires à bord des avions en provenance de Wuhan. Quelques jours plus tard, le 6 janvier, le gouvernement impose le port de masques n95 (ou FFP2 en Europe) à son personnel médical, s’inquiétant d’un risque de contagion à l’aune d’une situation qui ne serait « pas entièrement transparente » en Chine.
En contraste, la stratégie de la Chine comme de l’OMS apparaît beaucoup plus mesurée. « Il n’y a pas de preuve évidente de transmission interhumaine », écrit ainsi l’OMS le 12 janvier. Le constat permet alors à l'organisation de déconseiller « toute restriction des voyages et du commerce avec la Chine ». Ce n’est qu’à partir du 17 janvier que l’OMS fournira des recommandations laissant supposer une contagiosité du virus.
Si certains jugent légitime la prudence de l'OMS, d’autres y voient le signe d’une influence dommageable de Pékin. « L’OMS a simplement suivi le fil des annonces officielles de la Chine sans jamais mettre en cause le bien-fondé, la transparence et l’objectivité de ces informations, estime ainsi Jean-Yves Heurtebise, maître de conférences à l’université Fu Jen. Ce n’est pas forcément une preuve que l’OMS a menti, mais plutôt qu'elle a cru la Chine sans appliquer de principe de précaution ».
Pékin se défausse de la responsabilité de l'épidémie
Alors que Pékin semble visiblement lancé dans une vaste stratégie de communication visant à se défausser de la responsabilité de l’épidémie, les annonces taïwanaises ont fait des émules. Dans une passe d’armes virtuelle avec son homologue chinoise, Morgan Ortagus, porte-parole du ministère des Affaires étrangères américain, a ainsi repris l’information pour attaquer la Chine sur son manque de transparence, fustigeant des « conséquences catastrophiques ».
Pour Taïwan, l’enjeu est plus simplement de convaincre la communauté internationale de soutenir sa réintégration à l’OMS, à quelques mois de la réunion de l’Assemblée mondiale de la santé prévue en mai.
En soulignant sa réactivité face à l’épidémie, Taïwan espère attirer l’attention sur une injustice qui lui semble des plus fondamentales : un des pays ayant le mieux contenu l’épidémie n’a pas pu participer à la stratégie coordonnée à l’échelle internationale par l’OMS. « Cette histoire est la meilleure preuve que Taïwan mérite sa place à l’OMS, juge pour sa part Stéphane Corcuff, spécialiste de la géopolitique du monde sinophone. Ce qui n’est pas le cas de son directeur-général [Tedros Adhanom Ghebreyesus] ».
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