L’utilisation de drones par la police française durant le confinement est contestée en justice par deux associations. Elles craignent que les autorités ne profitent de la situation sanitaire pour étendre leurs pouvoirs de surveillance en dehors de tout cadre juridique précis.
À Paris, place de l'Étoile ou sur la butte de Montmartre, à Nice ou encore à Marseille, la scène s'est déjà répétée à plusieurs reprises. Une voix quelque peu nasillarde venue du ciel débite un message très clair : "Police nationale, rentrez chez vous". Elle provient d'un haut-parleur attaché à un drone utilisé par les forces de l'ordre pour les aider à faire respecter les mesures de confinement depuis le 15 mars. La Ligue des droits de l'Homme et la Quadrature du Net ne veulent plus les voir au-dessus de la tête des Français et se battent en justice pour obtenir l'arrêt du recours à ces petits engins volants téléguidés dotés de caméra à Paris. Ces deux associations ont fait appel, mardi 5 mai, d'un rejet de leur demande par le tribunal administratif de Paris.
Ces militants craignent que cette surveillance venue du ciel ne soit de mauvais augure pour nos libertés individuelles. Ils réfléchissaient déjà depuis un certains temps à questionner en justice l'utilisation des drones pour épauler les forces de l'ordre. Mais il leur manquait un angle d'attaque. "Le contentieux était difficile car il est important d'avoir un acte administratif à contester devant un juge administratif. Mais l'opacité qui entoure ce programme nous empêchait de savoir qui donne l'ordre de déployer les drones et sur quelle base juridique", précise Martin Drago, juriste pour la Quadrature du Net, une association qui défend les droits et libertés sur Internet.
Flou juridique
Une enquête du 25 avril de Mediapart consacrée aux drones vient débloquer la situation. La préfecture de police y reconnaît être le donneur d'ordre, et surtout précise le cadre légal de cette opération. Ou plutôt l'absence de base juridique précise, notamment en ce qui concerne la captation d'images, juge Martin Drago. "On pensait qu'en l'occurrence la police se soumettait aux mêmes règles que pour les caméras de vidéosurveillance fixes installées en ville, mais, en réalité, le seul cadre invoqué est celui des articles 9 du code civil et de l'article 226-1 du code pénal, ce qui est assez flippant", note le juriste. En effet, le premier article pose simplement le principe de la protection de la vie privée sans plus de détail, tandis que le second interdit de filmer des personnes dans un lieu privé sans leur consentement.
Un flou juridique qui rendrait toute cette opération illégale aux yeux des avocats de la Ligue des droits de l'Homme et de la Quadrature du Net. Sans base juridique solide, le risque d'abus existe, faisant planer le spectre d'une sorte de "dictature sanitaire" d'après Gerard Haas, avocat spécialisé dans le droit des nouvelles technologies, interrogé par le quotidien Le Monde.
L'action en justice ne vise pas seulement à faire déclarer illégal le recours aux drones à Paris, et par extension fragiliser le fondement de cette utilisation dans la trentaine d'autres villes françaises où ils sont déployés. Les deux associations cherchent aussi à "lancer un débat public pour qu'on se rende compte de la véritable importance de ce déploiement et de la manière dont il permet à la police d'accroître son pouvoir de surveillance", affirme Martin Drago.
Qualité du zoom et de la caméra
Car le cadre légal n'est pas le seul aspect flou de cette opération. La police se montre très avare en détail quant à son utilisation des drones. Elle a reconnu disposer d'une flotte d'une quinzaine d'engins sur Paris, et un rapport sénatorial a permis d'établir qu'il y avait eu, entre le 24 mars et le 24 avril, 535 vols sur le territoire national, dont 251 missions de surveillance et le reste pour "informer la population" sur le respect des mesures de confinement.
Mais impossible de savoir, par exemple, à quelle fréquence ces "big brother" ailés sont déployés dans le ciel parisien. Contacté par France 24 à ce sujet, la préfecture de police de la capitale a "regretté de ne pas pouvoir donner suite" à la demande. "C'est pourtant exactement le type de question auquel on estime avoir droit à une réponse", regrette Martin Drago.
Idem pour les vidéos filmées par les caméras embarquées, et le traitement de ces données. "Dès la fin de la mission, les images sont effacées de la carte mémoire. Elles ne font l'objet d'aucun recoupement avec des fichiers de police", se contente de préciser la police à Mediapart. Là encore, la formulation reste floue. Les vidéos et photos sont, certes, détruites de la mémoire de l'appareil, mais qu'en est-il des copies qui, comme le reconnaît la préfecture, sont envoyées "en temps réel sur une tablette de l'autorité responsable du dispositif ou sur un poste [un ordinateur, NDLR] dédié, installé dans le centre de commandement de la direction en charge des opérations" ? La préfecture a, de nouveau, refusé de répondre aux sollicitations de France 24 à ce propos.
En savoir plus sur l'utilisation de ces images par la police est d'autant plus important que les drones sont équipés de caméras haut de gamme. À Paris, les forces de l'ordre utilisent un modèle de la société chinoise DJI, leader du secteur, réputé "pour la qualité de son zoom et de sa caméra", souligne Mediapart. En d'autres termes, dans des grandes villes densément peuplées, les images transmises depuis le ciel par ces caméras qui comportent un grand angle comportement presque inévitablement des vues détaillées de ce qui se passe dans des appartements, au mépris du respect de la vie privée. Que les policiers le veulent ou non.
0 Commentaires
Participer à la Discussion