"On risque un retour en arrière."
? Après l'annulation d'un voyage à Pyongyang, une mise en garde sur les exercices militaires: les États-Unis ont haussé le ton face à la Corée du Nord, faisant éclater au grand jour l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations sur son désarmement nucléaire.
Concession surprise et controversée du président américain Donald Trump lors de son sommet historique du 12 juin avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, la suspension des manoeuvres militaires alliées sur la péninsule coréenne n'est plus à l'ordre du jour, a annoncé mardi 28 août le ministre américain de la Défense.
"Nous n'avons aucun projet de suspendre d'autres manoeuvres", a déclaré Jim Mattis, rappelant qu'il s'agissait à l'origine d'un "geste de bonne volonté à l'issue du sommet de Singapour", ces exercices conjoints entre armées américaine et sud-coréenne étant vécus comme une provocation par le Nord et par la Chine.
"On risque un retour en arrière"
Il s'est toutefois gardé d'annoncer une date pour leur reprise et sa déclaration sonne surtout comme un avertissement. "Nous allons voir comment les négociations se passent et nous verrons", a-t-il insisté.
La suspension des manoeuvres militaires "était conditionnée à la poursuite des négociations de bonne foi", tout comme "le moratoire sur les essais balistiques et nucléaires nord-coréens", souligne Vipin Narang, professeur associé au Massachusetts Institute of Technology. "Donc si tout ça s'écroule, on risque un retour en arrière", dit-il à l'AFP, redoutant de nouvelles démonstrations de force de la part de Kim Jong-un. La petite phrase de Jim Mattis confirme en tout cas que le climat s'est nettement détérioré.
Depuis des semaines, il était clair à Washington que les négociations sur la dénucléarisation patinaient, même si Donald Trump continuait, en public, de vanter les résultats du sommet, l'absence de tirs nord-coréens et son excellente relation avec Kim Jong-un.
Le raté du voyage de Mike Pompeo
Mais le psychodrame du voyage du chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo en Corée du Nord, annoncé jeudi et annulé le lendemain, est apparu comme un tournant. "J'ai le sentiment que nous ne faisons pas suffisamment de progrès en matière de dénucléarisation", a fini par reconnaître le locataire de la Maison Blanche.
"L'Amérique est prête à discuter lorsqu'il apparaîtra clairement que le président Kim est prêt à tenir l'engagement" de "dénucléariser complètement la Corée du Nord", a dit mardi Mike Pompeo dans une déclaration lue par sa porte-parole, laissant entendre que ce n'est pas le cas actuellement.
Que s'est-il passé entre jeudi et vendredi pour expliquer ce revirement, décidé ensemble par Donald Trump, son ministre et son équipe de sécurité nationale? Silence radio au département d'État et à la présidence. Mais d'après plusieurs récits des coulisses, Mike Pompeo, qui espérait rentrer de Pyongyang fort de quelques avancées concrètes, a reçu une fin de non-recevoir avant même de monter dans l'avion.
"Cela ne va pas se faire"
Selon le Washington Post, une lettre de Kim Yong-chol, le bras droit de Kim Jong-un, est arrivée vendredi et a fait comprendre à l'administration américaine que le voyage risquait de tourner au fiasco, comme celui de début juillet, quand Mike Pompeo était déjà rentré bredouille. Le responsable nord-coréen prévient dans cette missive que les négociations "sont en danger et risquent de capoter", a ajouté CNN.
"Il y avait des discussions en cours au sujet d'un échange déclaration contre déclaration", explique Vipin Narang. "Les États-Unis allaient travailler à une déclaration mettant fin à la guerre de Corée", qui ne s'est conclue en 1953 que par un simple armistice, "en échange d'une déclaration de la Corée du Nord sur ses installations nucléaires", sorte d'inventaire préalable à toute vérification et démantèlement.
Kim Yong-chol a probablement dit à Mike Pompeo: "cela ne va pas se faire", ajoute l'expert, rappelant que Pyongyang veut un traité de paix en bonne et due forme avant tout pas vers un désarmement. Surtout, plusieurs observateurs font état de la conviction de plus en plus ancrée chez les diplomates américains que le dirigeant nord-coréen n'a en réalité aucune intention d'abandonner ses bombes atomiques.
Donald Trump fait preuve d'optimisme
"Sont-ils en train de changer d'avis au sujet de la dénucléarisation? C'est possible", a admis mardi l'ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU, Nikki Haley, lors d'une conférence à Washington.
Pour Daniel Sneider, de l'université de Stanford, "les Nord-Coréens pensent qu'ils peuvent obtenir ce qu'ils veulent d'un autre sommet Kim-Trump". Et pour cette raison, "la plupart des personnes qui mettent en oeuvre la politique nord-coréenne" côté américain "veulent empêcher le président Trump de rencontrer Kim Jong-un à nouveau", écrit-il dans le journal japonais Tokyo Business Today après avoir parlé avec plusieurs responsables de l'administration.
Le milliardaire républicain a toutefois assuré vendredi avoir "hâte de le revoir".
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