Le Parlement européen a décerné mercredi le prix Sakharov 2021 de défense des droits de l’Homme et de la liberté de pensée à l’opposant russe emprisonné Alexeï Navalny, a annoncé le président de cette assemblée, l’Italien David Sassoli.
“Il a combattu sans répit la corruption du régime de Vladimir Poutine. Cela lui a coûté sa liberté et presque sa vie”, a indiqué sur Twitter le président du Parlement européen qui a également réitéré l’appel de l’institution à “la libération immédiate” de M. Navalny.
Le choix d’Alexeï Navalny a immédiatement été salué par le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, sur fond de tensions entre la Russie et les Occidentaux.
Ce prix est “la reconnaissance du rôle important qu’il a joué depuis de nombreuses années pour défendre les valeurs de la démocratie et être une voix forte en Russie”, a dit le chef de l’Alliance atlantique devant la presse à Bruxelles.
La candidature de M. Navalny était soutenue par le PPE (droite), principal groupe politique du Parlement européen, et le groupe centriste Renew, troisième force politique. De leur côté, les groupes S&D (gauche) et écologistes avaient proposé d’honorer les femmes afghanes se battant pour l’égalité et leur liberté face au régime des talibans.
Après l’intellectuel ouïghour Ilham Tohti, condamné à la prison à vie en Chine pour “séparatisme”, lauréat en 2019, le prix portant le nom du grand dissident de l’URSS Andreï Sakharov avait été attribué en 2020 à “l’opposition démocratique” au président Alexandre Loukachenko au Bélarus et reçu par sa cheffe de file Svetlana Tikhanovskaïa.
Lancé en 1988, le prix Sakharov “pour la liberté de l’esprit” récompense chaque année des personnes ou organisations défendant les droits de l’Homme et les libertés fondamentales. Il est doté d’une somme de 50.000 euros.
Empoisonné, emprisonné, persécuté : Navalny, l’ennemi du Kremlin
Ennemi numéro un du Kremlin, Alexeï Navalny a été empoisonné, emprisonné et a vu son mouvement être banni. Mais, du fond de sa prison, le charismatique opposant russe continue son combat contre Vladimir Poutine.
En une dizaine d’années, l’ancien avocat de 45 ans est devenu le principal détracteur de M. Poutine et de son “parti des voleurs et des escrocs”, comme il a rebaptisé sa formation politique, Russie Unie.
Ses camarades de combat ont, quant à eux, été au fil des années contraints à l’exil, réduits au silence ou, dans le cas de l’opposant Boris Nemtsov, tué.
Conspué par les médias officiels et sans représentation au Parlement, Alexeï Navalny s’est bâti une notoriété 2.0, avec des enquêtes vidéos virales fustigeant la corruption des élites et de Vladimir Poutine, son cheval de bataille.
Ses vidéos, commençant inlassablement par “Salut, c’est Navalny”, dénoncent l’ampleur de la corruption en Russie, ciblant exécutifs locaux, députés et ministres.
C’est à l’issue d’une de ces enquêtes que l’opposant est empoisonné en août 2020 à Tomsk en Sibérie, le début d’un calvaire médical puis judiciaire qui se soldera par sa condamnation en février 2021 à deux ans et demi de prison dans une obscure affaire de fraude.
Cette affaire marque le début d’un tour de vis généralisé visant médias indépendants et détracteurs du Kremlin. En amont de législatives en septembre, le réseau de M. Navalny, classé “extrémiste”, est démantelé.
S’il n’a jamais été autorisé à défier M. Poutine dans les urnes, M. Navalny s’est néanmoins imposé en tant que principal rival du président russe.
Il se fait un nom en organisant, en 2011 et 2012, de grandes manifestations qui rassemblent des dizaines de milliers de personnes. En 2013, il arrive deuxième aux municipales à Moscou, derrière un proche du chef du Kremlin.
Humour grinçant
Même de sa cellule, l’opposant continue aujourd’hui d’être une épine dans le pied de M. Poutine, qui évite soigneusement de prononcer son nom, et s’efforce de maintenir avec humour le moral de ses troupes.
“Ne vous inquiétez pas”, a ainsi lancé M. Navalny en septembre sur Instagram, “je serai libéré au plus tard au printemps 2051".
Aux législatives de septembre 2021, M. Navalny a prôné un “vote intelligent”, une stratégie consistant à soutenir les candidats les mieux placés pour battre ceux du pouvoir.
Ses alliés se targuent d’un succès, affirmant que le pouvoir a dû falsifier en catastrophe le scrutin à Moscou pour sauver ses protégés.
Pour l’opposition, mais aussi pour une large part du monde occidental, l’empoisonnement et l’incarcération d’Alexeï Navalny ont constitué un tournant. Désormais, le Kremlin ne tolère plus aucune critique.
Selon eux, tout porte à croire que ce sont les services de sécurité qui ont voulu l’éliminer.
Alexeï Navalny, qui accuse Vladimir Poutine en personne d’avoir ordonné sa mort, a survécu de justesse, l’avion à bord duquel il était ayant atterri d’urgence pour permettre son hospitalisation.
Des laboratoires européens identifieront plus tard un agent chimique militaire soviétique de type Novitchok.
Le Kremlin dément toute implication et dénonce le “délire de persécution” de l’opposant.
Passé nationaliste
Mais pour ses partisans, c’est un héros.
Après cinq mois de soins en Allemagne, il revient en Russie le 17 janvier, malgré la certitude d’être arrêté, chose faite dès son arrivée.
Dans la foulée, il appelle les Russes à “ne pas avoir peur” et diffuse une enquête vidéo affirmant que les richissimes amis de M. Poutine lui ont bâti un fastueux palais sur les bords de la mer Noire.
Fait exceptionnel, le maître du Kremlin doit lui-même rejeter ces accusations à la télévision, la vidéo ayant engrangé des dizaines de millions de vues sur YouTube.
Des dizaines de milliers de personnes battent également le pavé. Mais la répression policière met rapidement fin au mouvement.
Malgré son emprisonnement, M. Navalny continue de publier via ses proches des messages sur les réseaux sociaux, ironisant sur son quotidien de bagnard dans la sévère colonie pénitentiaire de Pokrov.
Il observe également une grève de la faim de 24 jours pour protester contre ses conditions de détention.
Sondage après sondage, Alexeï Navalny reste toutefois une figure controversée en Russie à la popularité limitée. En outre, il a flirté un temps avec un nationalisme aux relents racistes sur lequel il ne s’est jamais vraiment expliqué.
0 Commentaires
Participer à la Discussion