"Trois, deux, un, action!": dans un camp palestinien de Beyrouth, Moustapha ajuste l'emplacement de la caméra. Puis le petit Syrien de 11 ans donne ses ordres avec l'assurance d'un réalisateur chevronné.
Devant son objectif, un groupe de Syriens de 9 à 14 ans entonne alors une chanson traditionnelle arabe.
Cette scène va donner naissance à un court-métrage dans le cadre du projet "Film des réfugiés", une initiative financée par SB Overseas, une ONG belge d'aide aux réfugiés syriens.
"Quand je serai grand, j'espère devenir un vrai cinéaste ou un journaliste et enseigner aux enfants à utiliser une caméra", affirme à l'AFP Moustapha, un adolescent dégingandé.
Depuis le début il y a six ans de la guerre qui ravage la Syrie, ce sont surtout des images d'enfants martyrisés qui ont incarné la brutalité du conflit, avec sa litanie de morts et de réfugiés.
Le projet "Film des réfugiés" veut donner une image différente en offrant aux jeunes rescapés une chance de raconter leur histoire, y compris derrière une caméra.
Chaque jour pendant six semaines, près de 30 acteurs en herbe sont réunis sur une place de Chatila dans le sud de Beyrouth. Depuis la création d'Israël en 1948, ce camp accueille 10.000 réfugiés palestiniens, auxquels sont venus s'ajouter des Syriens depuis 2011.
"On s'éclate tellement"
Parmi eux, figurent Moustapha et sa famille qui, il y a un an et demi, ont fui Minbej, ex-fief du groupe Etat islamique (EI) dans le nord de la Syrie. Ils ont traversé la frontière pour s'établir au Liban à l'instar d'un million de Syriens.
"Avant je filmais avec mon téléphone portable. Mais ici on apprend à filmer grâce à une caméra, on apprend une tonne de choses et on s'éclate tellement", s'enthousiasme le garçon aux yeux noirs perçants.
Les apprentis-cinéastes ont produit six courts-métrages, dont un film d'horreur à propos de trois sorcières. Un autre, "Trahison à Beyrouth", raconte une histoire d'amour et d'enlèvement.
"Les caméras occidentales se concentrent toujours sur les enfants syriens. Nous avons voulu inverser la donne et mettre ces enfants derrière la caméra", explique à l'AFP Shiyam Jones. Ce réalisateur britannico-autrichien de 25 ans est le co-promoteur du projet avec Aphra Evans, une enseignante britannique qui aide les enfants à écrire des scripts.
Une fois le tournage terminé, "nous faisons le montage et nous montrons le résultat aux enfants. Ils peuvent ainsi se voir comme petits acteurs sur grand écran", précise Shiyam Jones.
Les courts-métrages vont être incorporés dans un documentaire qui montrera "la vraie vie à Chatila", selon lui.
"Je me sens comme une star"
Ce camp de misère est un véritable dédale de ruelles où les maisons sont juxtaposées et où il y a très peu d'espaces pour que les enfants se défoulent.
Les organisateurs se disent impressionnés par l'enthousiasme, la créativité et les talents des petits réfugiés.
"Vous voyez tout le temps l'image d'enfants d'Alep au visage empoussiéré. Ce n'est pas ce à quoi ressemblent ces enfants. Il leur est arrivé quelque chose, mais ils ont maintenant toute la vie devant eux", assure Mme Evans.
Hanadi al-Hajj Abdallah est l'une des "stars" du tournage. Ses ongles peints en rouge pincent les cordes d'un oud, un luth oriental très répandu dans le monde arabe.
"Aujourd'hui, nous utilisons l'oud dans une scène et c'est la première fois que je joue de cet instrument devant la caméra", témoigne la fillette, coiffée d'un voile couleur rouge brun. "Quand je joue, je me sens comme une star", se réjouit Hanadi qui, il y a quatre ans, avait fui sa maison près de Damas.
Cette enfant talentueuse chante même du rap syrien, notamment des chansons d'Ismaïl Tamer. "Elles parlent de guerre, de bombardements et des destructions. Elles parlent de la Syrie", explique Hanadi.
Et elle récite quelques paroles: "Ils t'ont porté tort, ils t'ont détruite. Quand ils ont vu ta beauté, ils ont été pris de jalousie".
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