Alors que la Cour pénale internationale s'est dite compétente pour mener des enquêtes sur des crimes de guerre présumés commis par des Israéliens dans les Territoires palestiniens en 2014, les autorités palestiniennes espèrent que cette décision va "accélérer" les procédures judiciaires contre ces responsables.
En se déclarant compétente, vendredi 5 février, pour enquêter sur d'éventuels crimes de guerre commis dans la bande de Gaza à l'été 2014, la Cour pénale internationale (CPI) a offert indirectement une victoire diplomatique de premier plan à l'Autorité palestinienne.
Notamment en précisant textuellement que "la juridiction territoriale de la Cour concernant la situation en Palestine (...) s'étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est".
Alors même que la CPI a eu beau ajouter qu'avec sa décision, elle "ne statuait pas sur un différend frontalier en droit international ni ne préjugeait de la question de quelconques futures frontières", le Premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, a immédiatement salué, dans un entretien exclusif accordé à France 24, une décision qui équivaut à "une victoire et à une reconnaissance de l'État palestinien avec les frontières de 1967".
Feu vert pour les enquêtes de Fatou Bensouda
Concrètement, sur le plan judiciaire, cette décision est aussi synonyme de feu vert pour Fatou Bensouda, la procureure de ce tribunal international qui avait annoncé en décembre 2019 vouloir ouvrir une enquête sur d'éventuels "crimes de guerre" commis dans les Territoires palestiniens en 2014. C'est à sa demande que la chambre préliminaire de la CPI a dû se prononcer sur la portée de sa compétence territoriale "dans la situation en Palestine".
"Fatou Bensouda peut désormais lancer une enquête à la demande de l'Autorité palestinienne, qui avait adhéré à la CPI en 2015 et obtenu à ce titre la possibilité de saisir la procureure de crimes commis sur ces territoires", souligne Stéphanie Maupas, correspondante de France 24 à La Haye, aux Pays-Bas, où siège la CPI.
En 2015, une enquête préliminaire avait été lancée sur des allégations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité en Israël et dans les territoires palestiniens, dans le sillage de l'opération "Bordure protectrice" à Gaza. Une guerre qui a fait 2 200 morts côté palestinien, dont 1 500 civils selon l'ONU, et 73 morts côté israélien, dont 67 soldats.
Fatou Bensouda a également laissé entendre qu'elle pourrait aussi mener des investigations sur l'utilisation de moyens non létaux et létaux par des forces israéliennes contre les "marches du retour" , manifestations organisées en 2018 à Gaza. Mais aussi sur la politique de colonisation israélienne, la procureure estimant que "des membres des autorités israéliennes ont commis des crimes de guerre", notamment en transférant des civils israéliens en Cisjordanie.
De leur côté, les Palestiniens espèrent que cette décision va "accélérer" les procédures judiciaires contre les autorités israéliennes. "Nous attentons la prochaine phase, nous laissons à la Cour le soin de désigner les responsables des crimes commis contre le peuple palestinien, et je suis certain qu'un certain nombre de personnes vont subir les conséquences de cette décision", a confié le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh.
"L'État hébreu n'est certes pas membre de la CPI, mais cela ne change rien puisque cette juridiction poursuit des individus et non pas des pays", explique Bassam Tablieh, avocat spécialisé en droit international et en droits de l'Homme, interrogé par France 24.
Installée à La Haye, la CPI est spécifiquement compétente pour poursuivre des individus soupçonnés de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis depuis le 1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur de son traité fondateur.
"Outre son côté symbolique pour les Palestiniens, je pense que cette décision aura un impact concret sur des responsables politiques et des militaires susceptibles d'être poursuivis, notamment lorsqu'ils seront en déplacement à l'étranger", estime Bassam Tablieh.
Théoriquement, dans le cas où des dirigeants israéliens seraient poursuivis, ils feraient alors l'objet d'un mandat international. Même si l'État hébreu refusera de collaborer avec une Cour qu'il ne reconnait pas, les 123 pays qui sont États parties au Statut de Rome de la CPI seraient alors dans l'obligation de collaborer, d'arrêter les personnes concernées présentes sur leurs territoires et de les livrer à la Cour.
Bassam Tablieh rappelle qu'en décembre 2009, l'ex-ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, avait annulé in extremis un séjour à Londres après avoir été informée qu'elle était sous le coup d'un mandat d'arrêt émis par un tribunal britannique à la suite d'une plainte pour son rôle pendant une opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, un an plus tôt.
"Nous espérons que la Cour mettra fin à l'impunité, non seulement en compliquant les déplacements des responsables israéliens, mais surtout qu'elle puisse juger et emprisonner ceux qui doivent l'être", a insisté le ministre des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne, Riyad al-Maliki, sur l'antenne arabophone de France 24.
Netanyahu "s'inquiète pour ses militaires"
Du côté israélien, le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne décolère pas contre la Cour après ce revers sur la scène internationale. "Quand la CPI enquête sur Israël pour de faux crimes de guerre, c'est purement et simplement de l'antisémitisme", a-t-il affirmé, samedi, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.
"C'est purement et simplement de l'antisémitisme"
"Depuis plusieurs mois, les responsables israéliens ont multiplié les déclarations contre la Cour, et notamment Benjamin Netanyahu qui avait déclaré que la lutte conte la CPI était une des priorités stratégiques d'Israël", précise Stéphanie Maupas.
Le gouvernement israélien rejette la compétence de la Cour et estime que "la Palestine n'est pas un État" et que les territoires ne peuvent donc pas relever de sa juridiction. Techniquement, c'est la reconnaissance à l'ONU de la Palestine en tant qu'"État observateur non-membre" en 2012 qui a permis l'adhésion de l'Autorité palestinienne à la CPI trois ans plus tard, contrairement à Israël qui, comme la Chine ou les États-Unis, n'est pas membre de cette cour internationale.
"Il y a une certaine inquiétude côté israélien, où la décision de la CPI est perçue comme un coup dur pour Benjamin Netanyahu, explique Leila Odeh, correspondante de France 24 à Jérusalem. Le Premier ministre s'inquiète notamment pour ses militaires, car des noms de commandants de premier plan de l'armée israélienne peuvent être concernés par les enquêtes de la Cour".
Et d'ajouter : "Il y a même une certaine crainte pour des responsables politiques, puisque les décisions militaires ne peuvent être prises sans un feu vert politique et gouvernemental en Israël, les deux sont liés".
Dans un article publié le 16 juillet 2020, le quotidien de référence israélien Haaretz indiquait que l'État hébreu était en train de dresser une liste secrète de responsables politiques, de militaires et de fonctionnaires susceptibles d'être poursuivis par la CPI.
Une liste qui comprenait, selon le journal, les noms de 200 à 300 personnes, dont ceux de certains dirigeants israéliens en fonction lors de la dernière guerre avec Gaza en 2014. Parmi ceux-ci, se trouvent le Premier ministre Benjamin Netanyahu, les anciens ministres Moshe Yaalon, Avigdor Lieberman et Naftali Bennett, ainsi que l'ex-chef d'état-major de l'époque Benny Gantz, aujourd'hui rival politique du Premier ministre.
Invitée de"L'Entretien de France 24", diffusé le 2 juillet, Fatou Bensouda s'était dite, quant à elle, déterminée à poursuivre ses enquêtes, malgré les pressions que l'État hébreu et les États-Unis ont tenté d'exercer sur la Cour.
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