Un Américain libéré des geôles iraniennes jeudi 19 mars. Un Iranien qui sort le lendemain de la prison de la Santé à Paris. Et un Français qui termine le même jour sa détention en Iran. Nulle source officielle ne le confirme encore, mais l’enchaînement des événements laisse penser qu’un triple deal a eu lieu entre Téhéran-Paris et Washington. « Ce sera bonne volonté contre bonne volonté », affirmait il y a bientôt deux mois un officiel iranien.
Retour sur les faits. Vendredi en fin de journée, l’autorité judiciaire iranienne annonce que Téhéran « coopère » à la libération d’un détenu français en Iran après que Paris a accepté d’élargir un Iranien menacé d’extradition vers les États-Unis. Il est question ici de Jallal Rohollahnejad, un ingénieur de 41 ans, arrêté à l’aéroport de Nice en février 2019 et réclamé depuis par les États-Unis qui l’accusent d’avoir tenté de faire entrer en Iran du matériel technologique en violation des sanctions américaines contre Téhéran.
« Je ne suis pas informé, mais je ne suis pas surpris par sa libération », nous confiait peu après son avocat Me Jean-Yves Le Borgne, alors que Jallal Rohollahnejad venait d’être remis à l’ambassade d’Iran à Paris, avant d’être mis dans un avion pour Téhéran. Longtemps détenu à la prison de Luynes près d’Aix-en-Provence, cet ingénieur avait été transféré à la Santé début mars, révélait le 11 mars Le Figaro.
En mai 2019, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait rendu un avis favorable à son extradition. Et le 11 mars dernier, la cour de Cassation avait rejeté le pourvoi présenté par Jallal Rohollahnejad. Son sort était donc entre les mains du premier ministre Edouard Philippe qui avait le pouvoir de prendre ou non un décret pour livrer l’Iranien aux États-Unis. « Le gouvernement français a libéré (Jallal Rohollahnejad) en changeant cette décision » de la cour de cassation, a expliqué la justice iranienne.
La France - où le dossier était suivi par Emmanuel Macron - a donc refusé d’extrader Rohollahnejad vers les États-Unis. Mais il fallait offrir une contrepartie à l’administration Trump, très hostile à l’Iran, pays qu’elle sanctionne très sévèrement après s’être retiré de l’accord international sur le nucléaire signé en 2015 entre Téhéran et les grandes puissances. C’est là qu’intervient vraisemblablement la libération surprise jeudi de Michael White, un ancien militaire américain détenu depuis deux ans en Iran. « Pour raisons médicales », a annoncé peu après le secrétaire d’État Mike Pompeo, mais à condition qu’il reste en Iran. Jusqu’à quand ? On l’ignore.
Ce n’est pas la première fois que l’Iran libère un Américain. En décembre déjà, Xiyue Wang, chercheur américain d’origine chinoise emprisonné depuis 3 ans en Iran pour espionnage, avait été échangé contre Massoud Soleimani, professeur à l’université Tarbiat Moddares de Téhéran, arrêté en 2018 aux États-Unis.
Mais cette fois, en contrepartie, les États-Unis n’ont pas relâché d’Iraniens qu’ils détenaient. Une concession que Washington pourrait faire, selon certaines sources, serait d’envisager avec bienveillance la demande exceptionnelle faite la semaine dernière par l’Iran d’un prêt de 5 milliards de dollars auprès du FMI pour aider à la lutte contre l’épidémie du Covid-19 qui a déjà tué 1 450 Iraniens.
Pour boucler la boucle dans cet échange de prisonniers, le chercheur français, Roland Marchal, a été libéré, avec d’autres détenus, à l’occasion du Nouvel iranien, qui a commencé vendredi. « Dans un acte de coopération mutuelle (….) avec le gouvernement français », a précisé la justice iranienne. Roland Marchal avait été arrêté en juin 2019 avec son amie et collègue Fariba Adelkhah, qui, elle, reste emprisonnée. Le chercheur devait arriver en France samedi en milieu de journée, selon le communiqué de l’Élysée qui a annoncé sa libération.
« Le président de la République exhorte les autorités iraniennes à libérer immédiatement notre compatriote Fariba Adelkhah », souligne le communiqué élyséen.
Spécialiste de l’Afrique, Roland Marchal était accusé de « collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale », Fariba Adelkhah du même chef d’accusation ainsi que de « propagande contre la République islamique ». Le 3 mars, la justice iranienne avait tenu la première audience de leur procès, mais la séance avait été immédiatement reportée. Dans la foulée, un collectif d’amis des chercheurs, estimant que les deux Français étaient en « danger de mort » en raison du virus, en avait appelé au guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, le numéro un du régime qui a la haute main sur l’appareil judiciaire révolutionnaire.
À l’occasion du Nouvel an iranien, des milliers de prisonniers ont été libérés ou vu leur peine réduite. Mardi, l'Irano-britannique Nazanin Zacharie-Ratcliffe a obtenu une permission de sortie de deux semaines de la prison de Téhéran où elle est détenue.
« Il s’agit probablement d’un grand deal, commente un expert de la relation franco-iranienne. Confrontés au virus, les Iraniens sont en train de vider les prisons. C’est une manœuvre habile pour mobiliser les opinions en Occident en vue d’espérer une levée des sanctions contre un pays qui vit une véritable tragédie humaine. Le message du président Hassan Rohani au peuple américain ne pouvait pas intervenir sans cette campagne de libérations », explique cet expert.
Vendredi, Hassan Rohani a appelé les Américains à faire pression sur leur gouvernement pour la levée des sanctions qui empêchent également l’Iran d’importer des médicaments pour soigner les patients atteints du virus.
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