Amnesty International accuse l’Agence nationale de sécurité de multiplier les disparitions forcées et les actes de torture contre les opposants au pouvoir.
C’est l’histoire de Karim Abd el-Moez, étudiant en ingénierie de 22 ans, enlevé une nuit d’août 2015 au domicile familial par l’Agence nationale de sécurité (NSA) égyptienne et torturé pendant quatre mois à coup de décharges électriques afin qu’il avoue appartenir à l’Etat islamique. Ou d’un autre adolescent de 14 ans, Mazen Mohamed Abdallah, soupçonné d’appartenir aux Frères musulmans, capturé en septembre 2015 et violé à plusieurs reprises avec un bâton.
Comme Karim et Mazen, Amnesty International fait état de 17 cas semblables, dans un rapport publié ce mercredi 13 juillet 2016 et intitulé «Egypte : Officiellement vous n’existez pas. Disparus et torturés au nom de l’antiterrorisme». Au total, ils seraient des centaines à subir le même sort depuis le début de l’année 2015, estime l’ONG, qui s’appuie sur les témoignages d’anciens détenus, de proches, d’avocats, de militants politiques ou encore de défenseurs des droits de l’homme.
Les victimes sont des étudiants, des militants politiques et des protestataires, parmi lesquels figurent des adolescents âgés de 14 ans seulement. A chaque fois, le même scénario se reproduit. La NSA descend au domicile du suspect au milieu de la nuit, l’arrête, le soumet à la torture et à une disparition forcée. Le but ? Intimider les opposants et éliminer la contestation pacifique. «Ce rapport expose au grand jour les méthodes que les autorités égyptiennes sont prêtes à employer pour terrifier et réduire au silence les protestataires et les dissidents», accuse Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.
Collusion entre les services et le parquet
Les proches des victimes restent souvent impuissants, n’apprenant que tardivement où leur proche est emprisonné. Amnesty dénonce également la collusion entre la NSA et le parquet égyptien, «qui a manifestement accepté à titre de preuve des éléments douteux présentés par la NSA, qui a basé des mises en accusation sur des "aveux" extorqués par la force, et qui s’est abstenu d’enquêter sur les allégations de torture».
Selon Amnesty, ce type d’abus est devenu particulièrement flagrant depuis mars 2015, date à laquelle le président Abdel Fattah al-Sissi a nommé le major général Magdy Abd el-Ghaffar, ministre de l’Intérieur. Ce dernier a notamment été membre du SSI, la police secrète du président déchu Hosni Moubarak, connue pour ses violations des droits de l’homme. Remplacée en 2011 par la NSA, cette dernière est devenue, depuis la nomination du nouveau ministre, l’organe principal de répression de l’opposition.
Les autorités égyptiennes nient ces violations des droits de l’homme et accusent Amnesty de répandre de fausses rumeurs et de soutenir des groupes «terroristes», dont les Frères musulmans.
«Le prétexte fallacieux de la sécurité»
L’ONG demande au président égyptien d’ordonner à tous les services de sécurité de l’Etat de mettre un terme à ces violations des droits de l’homme et d’instaurer «de toute urgence une commission d’enquête indépendante chargée d’examiner les allégations de disparitions forcées, de tortures et d’autres mauvais traitements infligés à des détenus par la NSA et d’autres services».
«Tous les Etats, en particulier les Etats membres de l’Union européenne et les Etats-Unis, doivent utiliser leur influence et faire pression sur l’Egypte pour qu’elle mette fin à ces violations, qui sont commises sous le prétexte fallacieux de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme», appelle également Philip Luther.
Ces histoires ne sont pas sans rappeler la disparition de l’étudiant italien Giulio Regeni, retrouvé mort dans une banlieue du Caire en janvier 2016, son corps présentant des traces de torture. Si la police égyptienne prétend qu’il a été victime de la violence d’un gang, le rapport d’Amnesty observe des similitudes entre les lésions constatées sur son corps et celles présentées par les corps d’Egyptiens morts en détention, relançant l’idée qu’il a, lui aussi, été victime d’une disparition forcée.
Estelle Pattée
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