« Je ne comprends pas ce qui se passe : presque toutes les semaines, on entend parler d’agressions racistes ». Sacha Petrova est étudiante à l’université de Saint-Pétersbourg. Cette demoiselle blonde est russe. Des jeunes qui, comme elle, manifestent leur étonnement, leur indignation, il n’y en a pas beaucoup. Comme si les violences racistes tendaient à se banaliser dans les esprits, dans les rues. Sacha jette un œil sur la photo de Samba Lampsar Sall accrochée sur le mur de l’université. Le jeune homme, qui étudiait là, est mort quelques heures plus tôt, tué à la sortie d’une boîte de nuit, alors qu’il était en compagnie de camarades étudiants. « Et encore un ! », déplore Sacha.
Le 25 mars dernier, c’est une fillette métisse Liliana Sissoko, âgée de 9 ans, qui a été victime d’une agression à caractère raciste, poignardée par deux adolescents dans l’escalier de son immeuble, à Saint-Pétersbourg. Le 24 décembre 2005, Léon Kanhem, 28 ans, étudiant camerounais, était assassiné, sans mobile, toujours à Saint-Pétersbourg. Fin octobre, c’était un étudiant chinois. Mi-septembre, un étudiant congolais. La liste détaillée serait longue. Selon une organisation non-gouvernementale spécialisée dans l’étude des agressions racistes, six personnes ont été tuées et 79 autres blessées, depuis le mois de janvier, dans toute la Russie. Mais c’est dans la deuxième ville du pays, Saint-Pétersbourg, que la plupart des violences à caractère raciste sont perpétrées.
La « Venise du Nord » s’enfonce dans le racisme
Haut-lieu du patrimoine culturel mondial, l’ancienne capitale de Russie est parfois appelée la « Venise du Nord » en raison de ses nombreux canaux et de ses innombrables ponts. Outre les touristes, elle accueille, dans ses universités, des milliers d’étudiants de toutes nationalités. Mais ceux-ci, dès lors qu’ils ont la peau un peu trop foncée aux yeux des jeunes russes, sont victimes de discrimination. Et ce racisme frappe indistinctement les personnes originaires d’Afrique, d’Asie centrale, du sud et du sud-est, d’Amérique latine, et même des ressortissants de la Fédération de Russie, notamment les Caucasiens.
« Nous venons ici pour étudier, je ne comprends pas pourquoi on nous tue », déplore Emmanuel. En fait, cet étudiant malien a bien sa réponse : « (Samba Lampsar Sall) a été tué parce qu’il était noir (...) Moi-même, j’ai déjà été agressé quatre fois par des jeunes Russes, trois fois dans la rue et une fois dans le métro ».
Face à la multiplication de ces violences à caractère raciste, le gouverneur de Saint-Pétersbourg, Valentina Matvienko avait pourtant défendu en mars dernier, l’image de sa ville et réfuté toute « tendance xénophobe » au sein de sa population. Il faut dire que l’image de la ville en pâtit au niveau international. D’autant plus qu’un sommet du G8 doit s’y dérouler en juillet prochain.
Mais entre les déclarations d’intention et les actions concrètes pour éradiquer les actes racistes, il y a comme un fossé. C’est ce qu’osent dénoncer plusieurs journalistes. Ainsi Alexandre Minkine, du Moskovski Komsomolets, qui interpelle le président de la Fédération de Russie : « Vladimir Vladimirovitch (Poutine), pourquoi vous taisez-vous ? Vous êtes le président, le garant de la Constitution. Cela se passe dans votre ville natale, où vous allez recevoir les dirigeants du G8. »
Dénoncer le climat d’impunité
De leur côté, les organisations non-gouvernementales rappellent que la Fédération de Russie est signataire d’un grand nombre de traités relatifs aux droits humains et à la discrimination raciale en particulier. En 2003, l’ONG Amnesty international a publié un rapport intitulé « Combattre le racisme pour mettre fin au climat d’impunité ». L’organisation de défense des droits de l’Homme reproche aux autorités de ne pas tout mettre en œuvre pour assurer le bon déroulement des enquêtes et des procès. Or, déclare Amnesty International, « ne pas demander des comptes à ceux qui commettent, encouragent ou approuvent les violences racistes a fréquemment pour effet d’aggraver le problème et contribue à instaurer un climat d’impunité dont profitent ceux qui commettent de tels actes ».
Pendant longtemps, les victimes elles-mêmes ont manifesté des réticences à porter plainte à la police, pour la simple raison que les policiers semblent peu enclins à résoudre ce type d’affaires racistes, préférant parler d’actes de « hooliganisme ». « Les autorités disent que ce sont des voyous qui sont à l’origine de ces attaques, regrette Aliu Tunkara président d’une association qui regroupe des ressortissants des pays africains vivant en Russie. Ce n’est pas vrai. C’est du racisme ! » Un autre responsable, Désiré Defot dénonce « l’indifférence des forces de l’ordre et du pouvoir ».
D’après plusieurs ONG, les agresseurs, lorsqu’ils sont présentés à la justice, sont rarement punis avec la sévérité pourtant attendue face à ce type de violence. Ce qui renforce le sentiment d’impunité chez les groupes extrémistes qui n’hésitent plus à agir. Ces groupes extrémistes puisent parfois ouvertement leur inspiration dans les thèses nazies.
Plusieurs marches ont été organisées ces derniers mois, pour dénoncer les violences racistes, mais sans réussir à mobiliser beaucoup de monde.
par Olivier Péguy
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