C'est une étape majeure d'un mouvement enclenché formellement en décembre dernier avec l’annonce par Barack Obama et Raul Castro de l'ouverture d'un processus de normalisation des relations américano-cubaines. Ce 20 juillet, Cuba et les Etats-Unis ont rouvert leurs ambassades à Washington et La Havane. « Du côté cubain c'est une victoire diplomatique » explique Janette Habel, politologue et enseignante à l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine (IHEAL).
RFI : Poignées de main, annonces, retrait de Cuba de la liste noire,… Aujourd’hui est une nouvelle étape dans la normalisation des relations entre les deux pays.
Janette Habel : Tout à fait, c’est une nouvelle étape. Une nouvelle étape tout à fait spectaculaire et visible du côté de l’ambassade cubaine à Washington, mais avec un bémol du côté de l’ambassade américaine à La Havane. En effet, il n’y a toujours pas d’ambassadeur officiel nommé puisque le président Obama se heurte à une opposition importante du côté des Républicains au Congrès américain. Les Républicains, majoritaires, ne veulent pas voter la nomination de ce nouvel ambassadeur. Or c’est le Congrès qui doit la ratifier…
Précisément, John Kerry n’est pas sur place. On dit qu’il pourrait se rendre à La Havane dans plusieurs semaines. Est-ce que ce délai, cette différence entre les deux capitales, est quelque chose de regrettable ?
C’est un peu regrettable, mais pour le côté cubain, c’est quand même une victoire diplomatique et c’est une grande satisfaction que de pouvoir rouvrir non pas une section d’intérêts - ce qui était le statut antérieur -, mais une véritable ambassade avec un véritable ambassadeur dans la ville même de Washington, et de voir le drapeau cubain hissé sur cette ambassade.
A La Havane, en pratique, cela ne va pas changer énormément de choses puisque Jeffrey DeLaurentis, l’ancien responsable de la section d’intérêts américains qui est là depuis un certain temps, va devenir chargé d’affaires et que l’ambassade est rouverte, mais sans l’ambassadeur pour l’instant.
La visite de John Kerry est reportée à cause de cela, alors que dans le même temps, le ministre cubain des Affaires étrangères va assister à l’inauguration de l’ambassade de La Havane à Washington, en présence d’ailleurs du secrétaire d’Etat américain.
Combien de temps la Maison Blanche va-t-elle tolérer cette situation, ce blocage, du côté du camp républicain ?
En l’occurrence, la Maison Blanche fait ce qu’elle peut mais le président Obama n’a pas la prérogative de passer outre la décision du Congrès. Or le Congrès est à majorité républicaine. Il faut donc que le président Obama – qui s’y atèle d’ailleurs, mais pour le moment sans résultat satisfaisants – puisse obtenir de la part des Républicains un vote favorable, non seulement à la nomination de l’ambassadeur, mais également à l’ouverture d’un compte bancaire pour l’ambassade cubaine aux Etats-Unis.
Tout cela se complique par le fait qu’on est déjà en campagne présidentielle aux Etats-Unis. La prochaine élection présidentielle voit le camp républicain multiplier le nombre de candidats. Parmi ces candidats, il y a des candidats d’origine cubaine, des Cubano-Américains, en particulier Marco Rubio, mais aussi des candidats comme Jeb Bush qui est le fils du président américain George H. Bush et le frère du président George W. Bush, qui eux ont déclaré qu’ils remettraient en cause toutes ces décisions s’ils étaient élus.
Dans ce contexte, on ne peut pas prédire, tant que la campagne présidentielle est en cours, ce qui va se passer. Car si le président américain peut changer certaines choses en matière de commerce ou de voyage, il ne peut pas passer outre le Congrès sur la question des ambassades. Il en va de même pour les sanctions économiques et commerciales de l’embargo.
L’embargo sera précisément la prochaine étape majeure. Est-ce que cette intransigeance républicaine reflète l’opinion américaine ?
Non, pas tout à fait. Parce que tous les sondages montrent qu’il y a plutôt une opinion favorable à la normalisation de ces relations entre les deux pays, y compris parmi la diaspora cubano-américaine ou cubaine en Floride. Il y a maintenant une majorité de l’immigration cubaine qui est favorable au rétablissement de ces relations et à leur normalisation, tout simplement parce qu’ils ont de la famille à Cuba et qu’ils ont besoin de pouvoir voyager tranquillement, de pouvoir envoyer de l’argent, etc.
L’intransigeance républicaine est directement liée à une partie de cet électorat cubano-américain, le vieil électorat cubano-américain, très intransigeant et très ferme sur ces convictions. Cet électorat alimente, y compris financièrement, les campagnes électorales de certains des candidats républicains. C’est donc de ce côté-là que les choses bloquent, y compris avec des contradictions au sein du parti républicain, puisque certains lobbys de l’agrobusiness, des biotechnologies, etc., liés aux Républicains, sont favorables pour des raisons d’intérêt commercial à la levée des sanctions.
Tout cela reste très compliqué. Il y a des questions pas du tout tranchées dans cette affaire : les propriétés nationalisées, le problème de leur indemnisation, Guantanamo, etc. La normalisation des relations va prendre beaucoup de temps.
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