Ce mois-ci, le Parlement du Royaume-Uni doit publier les résultats d’une enquête sur la détention des migrants et demandeurs d’asile, à la suite de cas très médiatisés de violences sexuelles et de décès. La détention illimitée de migrants favorise – voire provoque – des problèmes durables en matière de santé mentale chez les détenus, d’après des entretiens IRIN réalisés auprès d’anciens détenus, d’organisations humanitaires et de groupes de défense, et les décisions des tribunaux britanniques.
Plusieurs études ont permis d’examiner l’incidence de la détention des migrants sur leur santé mentale des migrants. Un examen de 10 de ces études, réalisé par des spécialistes ayant apporté des preuves à cette enquête, a révélé que chacune d’entre elles « faisait état de grands problèmes en matière de santé mentale chez les détenus. L’anxiété, la dépression et le syndrome de stress post-traumatique étaient fréquemment cités, tout comme l’automutilation et les tendances suicidaires. Le temps passé en détention contribuait également à la gravité des symptômes de détresse. »
Au Royaume-Uni, les migrants et demandeurs d’asile peuvent être détenus dans 11 centres de détention à leur arrivée, en attendant une décision concernant leur statut. Lorsque les demandes sont rejetées, les centres servent également de point de détention avant l’expulsion.
Dans l’UE, le seul pays où la population de ces centres est supérieure à celle des centres du Royaume-Uni est la Grèce, d’après l’ONG londonienne Detention Action. Plus de 30 000 personnes y ont séjourné en 2013. Près de 800 personnes ont été emprisonnées par le gouvernement en vertu de la législation relative à l’immigration durant le premier semestre de 2014.
Le pays compte aujourd’hui plus de 4 000 lits réservés à la détention de migrants, contre quelques centaines il y a 15 ans et le ministère de l’Intérieur britannique, chargé des questions concernant l’immigration, prévoit de renforcer sa capacité de détention en 2015.
Outre l’augmentation des coûts que cela représente pour les contribuables britanniques (estimés à 57 000 dollars par détenu chaque année), Jérôme Phelps, directeur général de Detention Action, souligne le nombre considérable de détenus subissant des préjudices « durables ».
« Il y a une crise liée à la santé mentale en centre de détention », a-t-il déclaré à IRIN.
Une étude réalisée en 2010 par le Service Jésuite des Réfugiés, pour laquelle 685 détenus ont été interrogés dans 23 pays de l’UE, a révélé que « la détention a des conséquences très néfastes sur la santé mentale des détenus » et qu’une détention prolongée « aggrave les effets négatifs sur la santé mentale ».
Les législations internationale et européenne stipulent que les migrants et les demandeurs d’asile ne doivent être détenus qu’en dernier ressort et pendant la période la plus courte possible. La directive européenne pour le retour des migrants clandestins fixe une limite de détention de 18 mois pour les migrants en situation irrégulière. Dans bon nombre de pays, le délai est encore plus court, mais le Royaume-Uni a choisi de se ne pas se soumettre à la directive et est le seul État membre n’imposant pas de délai de détention.
Sharif* raconte avoir fui la torture dans un État d’Afrique du Nord qu’il a préféré taire par crainte de représailles. Il a passé un an dans des centres de détention avant d’être libéré. Il a dit à IRIN que les conditions y étaient oppressives.
« Ma santé s’est détériorée en centre de détention, à cause de tout ce stress et de l’atmosphère tendue », a-t-il dit.
« De nombreuses personnes se mutilent. Mon ami s’est taillé le cou avec un rasoir... Je n’aurais jamais dû assister à tout cela. »
Quatre mois après sa libération, Sharif, qui souffre de claustrophobie et a dû recevoir un traitement lourd durant son incarcération, craint toujours d’être de nouveau arrêté et renvoyé chez lui. Même le bruit des clés dans la serrure le rend nerveux.
Hassan Seguya, un réfugié ougandais qui a passé six mois dans deux centres de détention différents après que sa demande d’asile initiale a été refusée, s’est confié à IRIN sur une des questions particulièrement stressantes pour les détenus.
« J’avais l’impression d’être en prison, mais c’était pire parce qu’on ne connaît pas [la durée de] sa peine », a-t-il dit à IRIN.
« J’attendais seulement d’être expulsé et j’ai pensé qu’il vaudrait mieux mourir ici [en détention] parce que je savais qu’ils me tortureraient chez moi », a déclaré M. Seguya. Il a raconté comment il avait passé trois ans derrière les barreaux en Ouganda, où il aurait été battu et torturé, après avoir été accusé de complicité de tentative de coup d’État.
Un autre détenu a témoigné par téléphone depuis un centre de détention et a raconté avoir été enfermé pendant trois ans. D’après lui, son expulsion avait échoué parce qu’il venait d’un territoire contesté et revendiqué par le Nigeria et le Cameroun, qui n’acceptaient ni l’un ni l’autre de l’accueillir et se rejetaient mutuellement la responsabilité.
Il a expliqué que lors de sa détention, il a bénéficié d’une prise en charge pour son état de stress post-traumatique, mais que cela n’avait pas suffi.
« J’ai essayé d’utiliser un drap de mon lit pour arrêter de respirer », a-t-il déclaré à la commission parlementaire. « [Certains] jours, je me réveille, mais je ne veux pas me réveiller. Je veux juste [qu’ils] me mettent dans un sac en plastique et me sortent d’ici. »
Les règles du ministère de l’Intérieur britannique visent à protéger « toute personne détenue dont la santé est susceptible d’être affectée par une détention prolongée ». Les médecins qui exercent sur place sont censés informer les responsables ainsi que le ministère de l’Intérieur de ces cas, en particulier des personnes risquant de se suicider et des rescapés de la torture.
Selon M. Phelps, ces rapports sont généralement ignorés. Une étude de 2011 a révélé que seulement neuf pour cent de ces signalements conduisaient à la libération d’un détenu.
À six reprises au cours des trois dernières années, les tribunaux britanniques ont jugé que les droits fondamentaux des détenus souffrant de troubles mentaux avaient été bafoués.
Le cas le plus récent concerne une jeune femme guinéenne arrêtée à son arrivée à l’aéroport de Heathrow. Détenue pendant 17 mois dans un centre, sa santé mentale s’est dégradée et elle a souvent été isolée ou menottée pour éviter qu’elle ne se mutile. En juillet 2014, la Cour suprême a jugé que sa détention était illégale et que ses droits fondamentaux étaient bafoués.
M. Phelps se dit « optimiste » et pense que l’enquête parlementaire pourrait apporter des changements. Bien que les migrants détenus et les demandeurs d’asile ne bénéficient pas de la sympathie du public dans le contexte politique actuel, « il existe de puissants arguments pour limiter la détention. »
Dans le cadre de l’enquête, un aspect spécifique de la législation relative à l’immigration au Royaume-Uni est en cours d’examen. Il s’agit de la procédure de la voie rapide avec détention ou DFT (Detained Fast Track procedure), qui est utilisée pour les cas d’asile apparemment simples et qui restreint souvent le droit des demandeurs de faire appel des décisions.
Dans son rapport concernant l’enquête, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés a mis en lumière « de graves lacunes dans la procédure, y compris le manque de clarté dans la politique du ministère de l’Intérieur quant à la portée et aux critères d’application de la procédure DFT ; le délai non défini de la détention en vertu de la DFT, ce qui donne la possibilité de détenir des candidats bien plus longtemps que nécessaire pour parvenir à une décision ; et les erreurs importantes et répétées dans la prise de décisions concernant la détermination du statut de réfugié dans le cadre de la procédure DFT. »
C’est en vertu de la DFT que la demande et le recours de Sharif ont été rejetés. Il a ensuite passé 11 mois en détention tandis que les tentatives d’expulsion du ministère de l’Intérieur sont restées infructueuses.
L’une des principales préoccupations concernant la DFT est que durant les 14 ans suivant son introduction, cette procédure s’est transformée en un système offrant peu d’occasions aux demandeurs d’asile d’apporter les preuves nécessaires à leurs actions et conduisant souvent à une détention prolongée.
Certains aspects du fonctionnement pratique de la DFT ont été jugés illégaux par les tribunaux britanniques.
Un porte-parole du ministère de l’Intérieur a déclaré à IRIN que la procédure « DFT permettait largement d’économiser l’argent du contribuable en nous permettant d’expulser les personnes n’ayant pas le droit de rester au Royaume-Uni à la première occasion. »
Le ministère de l’Intérieur n’a fait aucun commentaire sur la question de la santé mentale dans les centres de détention pour les immigrants. IRIN a recueilli les propos de James Brokenshire, ministre de l’Immigration et de la Sécurité, qui tient le gouvernement précédent responsable de bon nombre des problèmes actuels.
« Le système d’immigration dont nous avons hérité était totalement dysfonctionnel du fait d’une obtention frauduleuse largement répandue des visas de famille, de travail et d’étudiant et d’une agence chargée de sa supervision totalement incapable de faire face à l’ampleur de la tâche », a-t-il déclaré.
« Il a fallu du temps pour rattraper des années de mauvaise gestion, mais nous sommes désormais sur la bonne voie. Nous avons réformé les formalités d’obtention de visa en vue de réduire les demandes frauduleuses, annulé les contrats non conformes et pris des mesures importantes pour faire face aux retards dont nous avons hérité. »
1 Commentaires
Ah Bon !!!!!!!!
En Février, 2015 (10:58 AM)Participer à la Discussion