Le spectre de la franc-maçonnerie colle, comme une sangsue, au concept de droits humains, et l’empêche de jouer pleinement son rôle d’assurer la sécurité humain. La polémique est vive, le débat vaste, et la controverse très grande. Certains de ses détracteurs défendent la thèse du « complot maçonnique ». Qu’en est-il exactement ? Nous allons prendre, pour mener nos réflexions, trois repères historiques majeurs, les révolutions américaines de 1776, françaises de 1789 et la Déclaration universelle de 1948. On espère apporter, modestement, des éléments conceptuels permettant à chacun de se faire librement une opinion.
En gros, la révolution américaine est le résultat du vote de taxes supplémentaires (1764-1765), par le Parlement britannique, pour renflouer les caisses du royaume éprouvées par les guerres contre la France et l’Inde. Révolte des colonies (Massachusetts en 1768). Ce qui entraine, en retour, un durcissement législatif (Coercives Acts ou Punitives Acts en 1774). L’appel à la sécession, puis la Déclaration d’indépendance (1776) mènent à la guerre. Les hostilités prirent fin en 1783, et la Constitution américaine est adoptée le 17 septembre 1787.
La légende selon laquelle l’indépendance américaine serait l’œuvre des francs-maçons débute avec la Déclaration d’indépendance signée le 4 juillet 1776 à Philadelphie, pour deux raisons assez simples, dans le fond. La première, est que sur les 56 signataires (Pères fondateurs) du parchemin scellant la sécession des 13 colonies américaines, 9 d’entre eux (dont Benjamin Franklin) étaient francs-maçons. Mais la proportion de 1/6 est faible pour parler déjà de « complot ». En revanche, lors de l’adoption de la Constitution, en 1787, les « frères » représentent 13 des 39 membres, c’est-à-dire le 1/3 des signataires. Parmi eux, le premier président, Georges Washington (comme, 24 de ses 61 officiers pendant la guerre d’indépendance). L’autre raison est liée à la polémique relative à la symbolique (supposée) d’une pyramide flanquée d’un œil sur le dollar. Le tracé ferait apparaitre une étoile avec 5 triangles formant le mot ASNOM, anagramme de MASON en anglais. Est-ce là un délire ou une troublante coïncidence ?
Disséqué, loué et chanté par les progressistes, le mouvement intellectuel, politique et philosophique des « Lumières » a bouleversé le monde, à partir de la France, en 1789, par la croyance dans la science et la raison plutôt que la foi et la superstition. En fait, la thèse du complot maçonnique apparait après 1789, avec les pamphlets des contre-révolutionnaires, comme, l’Abbé Barruel, et le plus fameux d’entre eux, Joseph de Maistre, un ancien « frère ». Pour nous, esprits modernes, séduits par les promesses de l’humanisme, la gêne se situerait dans la supposée « main invisible » des loges, qui tirerait les ficelles de ces deux Révolutions philosophiques majeures.
Le trouble est d’autant plus opaque et épais lorsqu’on se rend compte que certains Pères des Lumières (à l’instar des Pères fondateurs américains) étaient des francs-maçons. De nombreux philosophes, scientifiques, artistes, proches ou lointains inspirateurs des idéaux de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, fréquentaient les loges (dont la fameuse « loge des Neuf Sœurs »). Parmi les plus illustres, il y a Diderot, Newton, Rousseau, Locke, Montesquieu, jusqu’aux plus engagés, comme Marat, Mirabeau, Desmoulins et le médecin Joseph Ignace Guillotin (qui a donné son nom à la guillotine, en 1789). En outre, on estime que le « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » (1792), devenu « La Marseillaise » (1795), véhicule un fond maçonnique, parce que son compositeur, Rouget de Lisle, était un « frère ».
Le cas de Voltaire est symptomatique, et pour cause. Longtemps féroce pamphlétaire des « membres » et de leurs « réunions déguisées » (comme il aimait les brocarder), il a été « retourné », il est vrai, à un âge avancé (84 ans). Le tablier qu’il portait à l’occasion était celui de son devancier, Helvétius, un autre philosophe illustre. Son engagement fut toutefois de courte durée (7 avril-30 mai 1778), soit un militantisme (actif ?) de 51 jours.
Certes, en 1789, ni les Noirs, ni les juifs, encore moins les femmes et les enfants, n’étaient jugés aptes pour être pleinement des « sujets de droit », mais demeuraient encore, comme les animaux et les choses, des « objets de droit ». D’ailleurs, Napoléon réhabilite l’esclavage à partir de 1804. II a fallu, pour ces « maillons faibles » des droits humains, de longues et intenses luttes pour avoir gain de cause.
Malgré cette restriction historique, des avancées notables ont eu lieu. La continuité juridique des idées généreuses des révolutions de 1787 et de 1789 se manifestera dans les 30 articles de la « Déclaration universelle des droits de l’homme » du 10 décembre 1948. Son Art.1 a un fort accent rousseauiste : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. IIs sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». II prend bien en charge la devise des Lumières « liberté, égalité, fraternité », mais ses détracteurs soupçonnent également une empreinte des « loges » avec la notion de « fraternité » qui renverrait, selon eux, aux « frères », autre surnom des francs-maçons. Pour rappel, les pays de l’Est, dénonçant le côté formaliste et idéologique du texte, ont refusé de le signer. Aussi, les deux Pactes de décembre 1966 sur les droits sociaux, culturels et économiques constitueront le difficile compromis avec « l’esprit » de 1948.
Pour certains pays arabes et islamiques, l’opposition est liée à des considérations culturelles, certains diront « maçonniques ». Certes le Coran ne mentionne pas l’expression « franc-maçon », mais l’université théologique d’El-Hazhar du Caire, l’une des plus influentes dans l’interprétation de la loi islamique, s’en chargera. En 1978, elle publie un texte très célèbre dans lequel la franc-maçonnerie est identifiée à une organisation « clandestine », « subversive », « juive » et « liée au sionisme international ». Ses membres étant sans foi ni religion, les musulmans qui y sont affiliés sont considérés comme « infidèles ». L’islam se montre donc très réticent (indirectement), par rapport à l’idéal des droits humains, par le caractère, doublement suspecté, de la main invisible maçonnique et juive de ses bases ultimes. Pour l’Eglise, ses positions ont été sans concession vis-à-vis des « loges ». Le pape Clément XII (1738) et Léon XIII (1882) ont produit des bulles dans lesquelles le caractère « subversif » des « loges » est mis en évidence, et jugé donc « dangereux pour la foi ».
A ce sujet, Amnesty International a été créée pour faire respecter et vulgariser les droits civils et politiques, spécifiques au texte de 1948. En vérité, sa date anniversaire ne devrait pas être avril 1961 (de son initiateur, l’avocat, Peter Benenson), mais bien le 10 décembre 1948, date d’adoption du texte. Mais pour coller à la mondialisation (défense des droits économiques), et à la suite de discussions houleuses, entre ses partisans de gauche et ceux d’extrême-gauche, elle a été amenée à infléchir sa ligne directrice, en changeant ses statuts, en septembre 2001, à Dakar. L’engagement d’Amnesty lui vaut le prix Nobel en 1998, et ses fameux rapports annuels sont attendus avec anxiété par les différents Etats, ce qui les amène à être plus regardant dans les droits de leurs concitoyens.
Sur la question de l’identification des droits humains aux objectifs franc-maçonniques, la réponse par l’affirmative peut paraître excessive. Aucun doute sur le fait que les « loges » ont pu servir de cadres de discussion aux philosophes et hommes de progrès, à l’origine des révolutions politiques du XVIIIe siècle. Ces « organisations secrètes » ont des idéaux (l’amour fraternel, l’entraide, la vérité, etc.) très proches de ceux des droits humains (égalité, universalisme, liberté). Cependant, hier, comme aujourd’hui encore, les droits humains partagent le terrain de l’humanitaire avec d’autres associations à chaque fois que la sécurité humaine est en péril. Parmi celles-ci, les lobbies maçonniques, sexuels, raciaux, religieux, économiques, etc. On prouverait alors, trop, en voulant réduire sa pensée et sa démarche à celles de ces mouvements, pensant agir, selon leur propre idéal, pour le bien-être humain.
Deux éminents historiens de la Révolution française, François Furet et Augustin Cochin, parlent de « possible influence ». Mais est-ce décisif ? Est-ce la cause ultime ? Une autre spécialiste de la question, Cécile Révaugier de l’université Bordeaux III, pense que c’est exagérer leur action que de parler d’une influence décisive : « Les francs-maçons ont accompagné l’indépendance des États-Unis, mais ils n’ont pas tout fait », analyse-t-elle. D’ailleurs, leur charte leur interdit de parler de politique ou de religion dans leurs « réunions », mieux encore: du fait de leur culte secret, les « loges » allaient elles-mêmes être victimes de la Révolution, précisément, la Terreur, à partir de 1792. N’est-ce pas un trait de divergence majeure entre les deux mouvements ?
Dernier point, enfin : certains des « frères » le sont devenus à un âge avancé (Voltaire et Newton n’étaient pas isolés), alors qu’ils avaient épuisé leur carrière intellectuelle. A la limite, on peut inférer que les francs-maçons ont pu être des acteurs isolés (il n’y a pas eu d’actions préalablement concertées), et non des leaders décisifs de ces deux Révolutions majeures. En somme, la relation entre droits humains et franc-maçonnerie n’est pas celle d’une causalité forte, mais celle d’une corrélation très faible.
Dr. Ndiakhat NGOM
*Professeur de philosophie et de sciences politiques.
*Ancien chargé de programme à Amnesty International.
*Ancien consultant à l’Unesco.
30 Commentaires
Fans
En Août, 2014 (14:59 PM)Thiédo Rek !
En Août, 2014 (15:02 PM)Fans
En Août, 2014 (15:12 PM)Peuls,
En Août, 2014 (15:41 PM)Fans
En Août, 2014 (15:42 PM)Noe
En Août, 2014 (15:59 PM)Fans
En Août, 2014 (15:59 PM)Peuls,
En Août, 2014 (16:00 PM)Toto2
En Août, 2014 (16:04 PM)Vive les tonneaux vides
Tangaay
En Août, 2014 (16:05 PM)Atypico
En Août, 2014 (16:23 PM)Fans
En Août, 2014 (16:27 PM)Peuls,
En Août, 2014 (16:51 PM)PEULS.
Fans
En Août, 2014 (18:17 PM)Fans
En Août, 2014 (18:29 PM)Lukyluk3
En Août, 2014 (20:51 PM)Maçon
En Août, 2014 (21:48 PM)Cheikh Bi
En Août, 2014 (00:33 AM)@buju
En Août, 2014 (03:32 AM)Akhenaten
En Août, 2014 (05:28 AM)La Religion(Islam) bien comprise est la Vraie Philantrophie et l'Humanisne.
Gnasset Ndoye
En Août, 2014 (09:40 AM)@ Peuls
En Août, 2014 (10:02 AM)Demba K Diaw
En Août, 2014 (10:44 AM)C’est Benjamin Franklin qui, en 1730, a publié aux Etats- Unis la constitution des francs-maçons rédigé par John Anderson en 1723. Dans cette constitution figurent les notions de fédéralisme et de séparation de pouvoirs comme à l’image de la constitution Américaine avec les 1/3 de Francs-maçons signataires. Ce sont des francs -maçons comme Paul Rever, John Hancock, Joseph Warren qui sont les figurent les plus proéminents de « Boston Tea Party » . Les lieux où les pères fondateurs se rencontraient pour parler d’Independence étaient des loges maçonniques. L’armée que dirigeait George Washington lors de la révolution américaine était composée de beaucoup de francs- maçons. Il y a le symbole maçonnique sur le billet vert et même dans l’architecture des positions des institutions américaines à Washington DC.
D’ailleurs les francs-maçons ont longuement voulu avoir un espace pour fonder leur société dans la démocratie avec la tolérance religieuse et la diversité politique ou moment la monarchie et les guerres religieuses sévissaient un peu partout dans le monde au 17eme siècle. C’est dans ce contexte que Francis Bacon finançait les expéditions qui ont abouti à l’établissement d’une colonie à Jamestown, et peu de temps après, les puritains, pour mieux vivre leur foi ont pris le Mayflower et atterri sur Massachusetts. Cependant, si vous voyez bien, le mode de gouvernement qui faisait office dans les colonies bien avant l’Independence américaine reposait sur un état chrétien. C’est avec les francs-maçons et déistes qui ont foi à la raison que les colonies américaines sont arrivaient à la séparation entre l’église et l’état. Les loges ont aussi contribué aux mutations sociales dans les colonies américaines. Aristocrates, pauvres, gradés de l’armée et officiers cohabitaient dans leur fraternité et les premières écoles et universités américaines étaient fondaient par des francs -maçons.
Donc les francs -maçons ont beaucoup contribué à la création des Etats-Unis et à son Independence jusqu’ ‘à même avoir une forte influence sur les décisions politiques américaines après l’Independence. Aujourd’hui on parle même de leur intention d’avoir un gouvernement mondial.
Certes, il est interdit de parler politique dans les loges mais beaucoup d’actions secrètes sont politiques. On cherche à placer les frères dans les grandes instances de décision pour mieux atteindre les objectifs visés. Un initie ou un profane se fait croire que la franc-maçonnerie c’est (l’amour fraternel, l’entraide, la vérité, etc.) mais plus on escalade les degrés d’initiation plus on se rend compte du mystère et du secret qui l’entoure. Adam Wheispaut, le sataniste qui a fondé les Illuminatis et qui a fondu son groupe dans la fraternité maçonnique, visait la suppression du mariage, l’abolition de toutes les religions et gouvernements établis et enfin la création d’un gouvernement mondial par tous les moyens comme la guerre, l’assassinat ou l’utilisation de prostitués pour un chantage sexuel. Les deux guerres mondiales qui ont finalement abouti à la création des Nations Unies relèvent de leurs stratégies. La guerre de sécession qui à abouti à l’assassinat du président Abraham Lincoln était l’œuvre des francs-maçons. Ce dernier refusait aux sionistes de la famille Rothschild la création d’une banque centrale aux Etats- Unis. Beaucoup de multinationales américaines sont entre les mains des francs-maçons. Ils occupent aujourd’hui l’audiovisuel qui est un grand moyens pour le control de l’information. Ils financent beaucoup de projets de recherche en donnant leurs orientations. Si les pères fondateurs des Etats-Unis et grands philosophes comme Voltaire, Rousseau, Bacon etc… pouvaient connaitre le tournant actuel de la franc-maçonnerie, ils auraient épousé l’islam ou la religion chrétienne. Beaucoup de francs-maçons ne suivent plus la droiture de l’équerre comme symbolisme et l’idéal démocratique des fondateurs de la franc-maçonnerie spéculative.
D K D
Sk_tidjani
En Août, 2014 (13:27 PM)- les progrès techniques qui en découlent une autre chose
tout ceci est dans l'absolu indépendant de l'idéologie, dans l'absolu seuelemnt
- l 'idéologie que ce soit religieuse maçonnique athée droits de l'hommiste reste une idéologie. D'un certain point de vue ces personnes respectables qque soit leur métier, dans lequel il excellait d'ailleurs, moun lingey def, se sont accroché à ce qu'il leur semblait le plus crédible. L'idéologie ou le contexte idéologique a peut être stimulé leur performance mais c'est tout ce n'est aucunement le fondement de leur technicité. Deux choses distinctes.
Dans notre contexte si la franc-maçonnerie se veut souveraine, l'Islam aussi se veut souverain, malgré la présence de marabouts maçons notamment dans les grandes confréries et sans faire référence à Azhar on peut rappeler les mises en garde du connaissant (quelqu'un qui sait de quoi il parle) Sidi Abdul Aziz Dabbagh. Dès lors que l'idéal professé n'est plus le Seigneur et son prophète, leur satisfaction, il y a incompatibilié dans les fondements. Après lou way def boppam
Zarphoustra
En Août, 2014 (13:32 PM)Plutot
En Août, 2014 (13:35 PM)@phara-maç-on
En Août, 2014 (16:58 PM)@phara-maç-on
En Août, 2014 (17:23 PM)Rakaju
En Août, 2014 (19:34 PM)Ndourlesage
En Septembre, 2014 (11:40 AM)Participer à la Discussion