La lutte contre la pandémie de la Covid-19 n’est pas seulement sanitaire. Depuis son apparition au Sénégal, beaucoup de mesures fortes ont été prises par le chef de l’Etat. Au point que certains commencent à s’interroger sur une gouvernance au forceps.
Le 10 avril, le ministre du Travail, Samba Sy, a révélé que le président de la République a pris une première ordonnance, dans le cadre de la loi d’habilitation, pour interdire tout licenciement, sauf pour faute lourde. Cette énième décision depuis l’apparition de la Covid-19, est la preuve que le chef de l’Etat ne prend pas à la légère la lutte contre la pandémie.
Ainsi, il n’hésite pas à prendre les décisions les plus contraignantes qu’impose la situation. Lorsque la «mafia» des thermo-flashs, un appareil à infrarouge permettant de détecter la chaleur émise par l’artère temporale, a été découverte, Macky Sall n’a pas tardé à réagir.
En effet, après une forte flambée du prix de cet appareil très courtisé en cette période de la pandémie de la Covid-19, le chef de l’Etat a pris une décision visant à réquisitionner tout le stock de thermo-flashs restant au Port autonome de Dakar.
En réalité, les thermo-flashs n’ont pas été les premières «cibles» de ces réquisitions tous azimuts, enclenchées par le président Macky Sall. Deux jours avant la déclaration de l’Etat d’urgence et le couvre-feu par le président de la République, la police nationale avait réquisitionné tous ses agents. Une mesure accompagnée d’une batterie de consignes.
«Le Sénégal fait face, à l’image de la communauté internationale, à cette pandémie de coronavirus dont la propagation commence à inquiéter. C’est ce qui a poussé Monsieur le Président de la République, à l’issue du Conseil des ministres du mercredi 18 mars 2020, à renforcer les mesures déjà prises lors du Conseil présidentiel du 14 mars 2020 sur la Covid-19», lit-on dans un document de la police.
Hôtels, chloroquine…
Le même document indique également que la police nationale doit, en conséquence, se préparer à une montée en puissance dans son déploiement, aussi bien au niveau des frontières qu’au niveau de toutes les localités où un besoin de sécurité se signalera.
Une réquisition accompagnée d’une batterie de consignes qui vise à bien gérer la situation pendant cette période de la pandémie de la Covid-19. Ces dispositions sont, entre autres, la suspension de la confection des cartes nationales d’identité, des services non essentiels, la mobilisation et l’évaluation du matériel organique de chaque commissariat et faire une expression des besoins, si nécessaire.
La course vers la réquisition enclenchée par le chef de l’Etat est loin d’atteindre son épilogue : la chloroquine aussi. Jugée comme une piste dans le traitement de la Covid-19, les premières études cliniques sont faites par le Pr. Didier Raoul.
Utilisée avec des résultats encourageants au Sénégal, l’Etat du Sénégal a encore réquisitionné tout le stock de nivaquine et de plaquenil détenu par les laboratoires privés. Ce stock réquisitionné sera mis à la disposition des centres de traitement des hôpitaux de Fann, Thiès et autres à travers le Sénégal.
Le 3 avril 2020, le déficit de réceptifs pour accueillir les patients suspectés d’avoir le coronavirus fait prendre un autre arrêté pour réquisitionner 4 hôtels de la capitale. Il s’agit du Lagon 2, de Ngor Diarama, de l’Hôtel Savana de Dakar et enfin l’Ibis Novotel de Dakar. Désormais, ces hôtels serviront de lieu de quarantaine des cas suspects de la Covid-19.
«La réquisition prendra effet à partir de ce 4 avril. Et la sécurité des réceptifs sera gérée par la police et la gendarmerie, selon la zone de compétence, sous la coordination du préfet du département de Dakar», nous renseigne l’arrêté du gouverneur de Dakar.
D’autres réceptifs hôteliers ont été réquisitionnés pour les mêmes raisons. C’est le cas d’un hôtel au lac Rose, au Cap Skirring et dans d’autres régions.
Attention aux abus
Des masques stockés dans plusieurs conteneurs en provenance de la Chine ont été aussi identifiés et réquisitionnés. Et les propriétaires des conteneurs étaient appelés à s’identifier, à montrer leurs justificatifs afin d’être remboursés par l’Etat.
Sur le plan numérique, l’Association sénégalaise des usagers des tics (Asutic), s’appuyant sur l’identification des cas contacts par le ministère de la Santé, croit savoir que le traçage numérique a été adopté par les autorités, sans que les citoyens n’en soient informés. Un soupçon confirmé d’ailleurs par le ministre Abdoulaye Diouf Sarr, sans plus de détails. Ce qui ne rassure pas la société civile.
«Nous n’avons, à ce jour, aucune information officielle permettant d’affirmer l’utilisation de ces pouvoirs démesurés de surveillance des populations, conférés par l’Assemblée nationale depuis 2016, dans le cadre de la lutte contre la Covid-19», regrettent Ndiaga Guèye et Cie à travers un communiqué. Ces derniers s’inquiètent sur l’utilisation de ces grandes oreilles, sans violer la vie privée des citoyens.
«Il nous faut être particulièrement vigilant pour limiter le potentiel intrusif de ce dispositif, pour préserver l’équilibre entre les droits individuels et l’intérêt général, mais surtout éviter le risque d’entrer dans une nouvelle ère de surveillance numérique invasive des citoyens», avertit l’Asutic.
Ces réquisitions multiples posent ainsi la nécessité du juste équilibre, à savoir lutter efficacement contre la Covid-19 tout en évitant de piétiner les droits des citoyens.
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