Pour lutter contre la pandémie de Covid-19, le Sénégal a réagi très tôt et très fort en mettant en place dès le début de l’année 2020 des mesures de santé publique (couvre-feu, interdiction des déplacements entre les régions, etc.) dont nous avons analysé l’acceptabilité sociale.
Mais, depuis, la situation épidémiologique a évolué (figure ci-dessous). Le système de santé est aujourd’hui en grande tension selon les statistiques de l’utilisation des lits d’hôpitaux et d’unités de soins intensifs.
Il est cependant important de rappeler que si l’on rapporte ce nombre de cas à la population, la pandémie frappe beaucoup moins fort le Sénégal que le Brésil, par exemple. Si au Sénégal, on compte 170 cas et 4 décès de Covid-19 pour 100 000 habitants, le Brésil fait face à 4 450 cas et 108 décès pour 100 000 habitants depuis le début de la pandémie.
Une campagne de vaccination à venir
C’est dans ce contexte que tous les gouvernements du monde cherchent des solutions pour endiguer la pandémie. Le Sénégal – dont l’histoire des premières vaccinations, qui remontent à 1905, montre l’importance de s’intéresser à leur acceptabilité par la population – mise notamment sur cette stratégie pour protéger sa population. Elle ne sera pas la solution miracle, bien que recherchée. En outre, la Covid-19 n’a été que la 32? cause de mortalité en 2020 en Afrique.
Alors que les pays du Nord ont déjà démarré leurs campagnes de vaccination (le 5 décembre 2020 en Russie et le 8 en Angleterre), le Sénégal prépare sa stratégie. Le ministère de la Santé et son comité de coordination des activités du programme élargi de vaccination sont notamment conseillés par un comité consultatif. Le plan national de déploiement de la vaccination a été soumis et analysé par l’Organisation mondiale de la Santé en Afrique.
Un tiers des activités de préparation a été réalisé. Le Sénégal fait partie des pays retenus pour intégrer l’initiative COVAX (on annonce 600 millions de doses fin 2021 pour l’Afrique) qui devrait fournir gratuitement des vaccins à 20 % de sa population. Le pays devra payer les doses pour les autres 80 % et trouver le financement de l’ensemble de la logistique.
Le Cap Vert devrait être le premier pays de la région à recevoir des vaccins Pfizer de COVAX en février. Le Sénégal est aussi en discussion avec la Chine pour obtenir d’autres vaccins. Le directeur national de la prévention annonce que la campagne va démarrer « avant la fin mars ».
Il devient donc urgent de mieux comprendre la manière dont la population acceptera cette vaccination contre le virus SARS-CoV-2, d’autant plus que « peu d’études fiables sont disponibles sur les attitudes vis-à-vis du vaccin en Afrique »
Dans le cadre du projet ARIACOV, nous avons réalisé un sondage auprès d’un échantillon de 607 personnes âgées de plus de 18 ans. La méthode est précisée ici. La collecte des données s’est déroulée du 24 décembre 2020 au 16 janvier 2021.
Une faible majorité de personnes ont l’intention de se faire vacciner
Le résultat principal peut être interprété comme le verre de bissap à moitié plein ou à moitié vide.
Les optimistes retiendront qu’en janvier 2021, plus de la moitié des personnes interrogées (54,4 %) affirment avoir l’intention de se faire vacciner tandis que les pessimistes remarqueront qu’un tiers (32,8 %) ont l’intention de refuser le vaccin. En comparaison, un sondage du bureau de prospective économique du Sénégal réalisé en décembre 2020 montrait que seulement 38,3 % accepteraient de se faire vacciner. En novembre 2020, une enquête conduite par Internet auprès de 3 000 personnes affirmait que 43,3 % des personnes au Sénégal avaient l’intention de se vacciner lorsque le vaccin serait disponible, le taux en Afrique variant de 40 % (Cameroun) à 72 % (Kenya). Un autre sondage, effectué auprès de 1 000 personnes au Sénégal, réalisé par le centre de contrôle des maladies en Afrique (Africa CDC avance que 65 % des personnes seraient disposées à se vacciner alors qu’elles seraient 93 % au Niger.
Dans notre étude, il ne semble pas y avoir de différences d’intention de se faire vacciner selon l’âge, le genre, la région ou le niveau d’éducation. En outre, on note une forte corrélation entre, d’une part, la volonté de se protéger contre le virus et, d’autre part, l’intention de se faire vacciner ou de recommander le vaccin aux autres.
En corollaire, l’efficacité perçue du vaccin est relative car 54,5 % des enquêtés pensent qu’il est peu probable qu’ils soient infectés après avoir été vaccinés, et 58 % croient que le vaccin va réduire le risque d’être malade de la Covid-19. En outre, à peine plus d’une personne sur 10 (12,9 %) peut être qualifiée d’hésitante.
Chez les personnes qui entendent refuser le vaccin, les deux raisons les plus évoquées sont l’absence de confiance (surtout de la part des personnes âgées et des personnes vivant hors de Dakar) et l’absence d’information.
Dans le sondage du bureau de prospective économique, l’absence de confiance dans le vaccin était aussi la raison principale (74,1 %) des refus du vaccin, ce qui devrait inspirer les responsables de la rédaction des plans de communication. Nous avions déjà vu combien la confiance était un élément central de l’acceptabilité des mesures gouvernementales du premier semestre 2020. Des campagnes d’information et de sensibilisation pourraient certainement aider les personnes à prendre une décision, « sans stigmatisation, coercition, culpabilisation ».
L’expression de quelques doutes
Si la majorité pense qu’il est important (73,1 %) et responsable (84 %) de se faire vacciner, certaines personnes expriment des doutes sur la protection apportée.
Ainsi, une faible majorité (58,8 %) pense que la vaccination va les protéger personnellement du virus ainsi que leurs proches (57,5 %), ou que cela va réduire leurs risques de contracter la Covid-19 (58 %). En outre, un tiers (33,4 %) de la population estime que le vaccin ne comporte pas de risque pour la santé et deux personnes sur dix (22,1 %) pensent que la vaccination va mettre leur santé en danger.
Ces doutes, qui subsistent malgré l’absence d’effets secondaires rapportés dans les pays du Nord qui ont lancé un processus de vaccination, s’expliquent peut-être par le fait que la stratégie vaccinale n’est pas encore déployée au Sénégal. Ils sont peut-être aussi à comprendre à l’aune des idées reçues et autres infox qui circulent au sujet de la vaccination, tels qu’évoqués par le chef du programme de vaccination du Sénégal et des anthropologues.
Le personnel de santé doit être prioritaire
Dans le contexte des pénuries actuelles de vaccins, des priorités doivent s’opérer.
Les personnes qui ont participé à notre sondage estiment qu’il faut administrer le vaccin en priorité aux personnels de santé (87,3 %), aux personnes âgées (69,9 %) et aux personnes présentant des comorbidités (66,4 %). Les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans sont moins prioritaires (43,3 %). Cette perception serait en phase avec le gouvernement, qui semble avoir décidé que les cibles prioritaires de son plan vaccinal seront les personnes âgées de plus de 60 ans, les personnes avec des comorbidités et le personnel de santé en première ligne. Le groupe d’experts conseillers stratégiques (SAGE) de l’OMS a notamment recommandé que dans les 20 % de doses apportées par COVAX, 3 % soient réservées aux personnels de santé et 17 % aux personnes âgées et aux personnes avec des comorbidités. Par ailleurs, la majorité des répondants à notre sondage pensent que le vaccin doit être fourni gratuitement à tous (85,2 %)
Les résultats de notre étude, partagés avec les responsables nationaux, devraient continuer à éclairer les décisions pour adapter la stratégie vaccinale et son démarrage. Nous allons continuer de déployer notre équipe de recherche pour mieux expliquer ces résultats avec des analyses statistiques complexes et comprendre, à l’aide de méthodes qualitatives, les points de vue des personnes ayant déclaré être hésitantes ou refuser la vaccination contre le SARS-CoV-2, d’autant que les variants du coronavirus semblent circuler au Sénégal.
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