À mon sens, sucer n'est pas plus anti-féministe que la levrette ou la sodomie.
J'ai fait mon collège à la fin des années 1990. À l'époque où embrasser un garçon pour la première fois était un événement qui passionnait des classes entières, je me souviens que la question de la pénétration et du sexe oral, en particulier, était elle aussi bien présente. On savait à peine quoi faire de nos langues dans la bouche de quelqu'un (fallait-il tourner? Si oui, dans quel sens?) qu'il nous fallait aussi savoir quoi faire avec un pénis dans la bouche. Il fallait savoir sucer.
Évidemment, personne ne suçait personne, mais la pression était pourtant là. Il était important, capital même, d'être d'accord pour pratiquer la fellation et de le faire bien. Avant donc de savoir s'il fallait tourner ma langue dans un sens ou dans un autre, je savais qu'il ne fallait pas mettre les dents quand j'aurais un pénis dans la bouche. Parce que ça arriverait, c'était sûr. Et ce jour-là, il fallait être prête.
L'injonction à la fellation, et à la bonne fellation (quoi que ça veuille dire) a très tôt pris une place non négligeable dans mes questionnements sur le sexe. J'entendais toute la journée des réflexions sur les «bouches à pipe» de mes camarades de classe (je rappelle que nous avions pour beaucoup de magnifiques appareils dentaires), mais également des blagues graveleuses sur le fait qu'untel ou unetelle devait être une bûche au lit (on dit aussi étoile de mer).
Je crois que j'avais 13 ou 14 ans quand je me suis dit pour la première fois qu'il était vital que je sois un bon coup et que je sache sucer correctement. Que j'ai appris à faire semblant d'en avoir envie et que j'ai commencé à me renseigner sur les techniques. Je n'ai même pas questionné cette évidence. Ça venait avec le package des seins qui poussent et des règles qui débarquent.
De l'injonction au plaisir
En 2012, le magazine ELLE titrait dans un de ses numéros d'été: «La pipe ciment du couple!». Dans l'article, les femmes qui ne pratiquaient pas la fellation étaient jugées et celles qui la pratiquaient encensées. Des femmes y témoignaient pour expliquer leurs raisons et les avantages qu'elles tiraient de cette pratique (dont aucune n'avait à voir avec la notion de plaisir).
Adèle 39 ans, déclarait: «Une bonne pipe, c'est très efficace en phase de négociations, quand je veux le faire céder sur la couleur d'un papier peint ou sur le lieu de nos futures vacances». Julie, 35 ans: «No pipe si j'ai un truc à lui faire payer: petite dernière oubliée à la crèche ou tas de linge s'accumulant. Mais fellation à volonté si j'ai besoin de me faire pardonner quelque chose ou de l'amadouer, pour qu'il garde les enfants quand je pars en séminaire!» Encore une fois, et de manière cette fois très publique puisqu'en une d'un magazine national, la fellation était valorisée, présentée comme une évidence ou un passage obligé.
«On peut aimer caresser sa propre bouche avec le pénis de l'autre.»
Capucine Moreau, sexologue, dans ELLE
En octobre 2021, le ton et l'angle ont changé chez ELLE. Un article publié sur le site du magazine questionne le plaisir retiré par la personne qui procure la fellation à l'autre. La sexologue Capucine Moreau y explique: «Le plaisir de l'autre nourrit le nôtre, et réciproquement. Lors de la fellation, le fait de se dédier au plaisir du partenaire permet, quelque part, de se dédier à son propre plaisir. Aucun plaisir n'est privilégié, on prend du plaisir ensemble (…) C'est une zone [la bouche, ndlr] pleine de récepteurs sensoriels. On peut aimer caresser sa propre bouche avec le pénis de l'autre. Cette vision est aussi très intéressante.» Elle évoque aussi le fait que la fellation donne une position active plutôt que passive à la femme.
Par la fellation, la femme devient actrice du plaisir de l'autre. Si on pousse un peu cette idée, elle est donc aussi dans de meilleures dispositions pour devenir actrice du plaisir tout court, et surtout du sien. L'idée que les femmes ont tout à gagner dans une posture active par rapport à leur désir et leur plaisir est une de celles que je défends dans mon Kamasutra féministe ainsi que dans sa suite, Masturbation.
Quand elles sont mieux en maîtrise de leur corps, de leur plaisir, les femmes qui partagent des relations sexuelles avec des hommes sont potentiellement plus à même d'exprimer leurs limites… mais aussi d'avoir des standards en-dessous desquels la relation sexuelle n'est pas acceptable.
Quand on sait qu'on a un clitoris, où il est et qu'on peut assez facilement jouir avec, on n'accepte plus une série de relations sexuelles sans plaisir où le partenaire part du principe que celui-ci est une légende. La posture active dans la relation sexuelle permet aussi de sortir des schémas sexuels évidents avec des passages obligés et un rapport sexuel très codifié. La fellation rentre ici dans le débat: c'est à ce moment-là qu'on a vraiment le loisir de se demander si on en a envie ou pas.
«Prendre du plaisir comme je l'entends»
La journaliste et podcasteuse Laetitia Reboulleau, spécialiste des questions sexuelles, explique pourquoi, selon elle, la fellation n'est pas anti-féministe: «Pour moi, les pratiques sexuelles quelles qu'elles soient n'ont aucun rapport avec mon militantisme. Ce n'est pas parce que je suis féministe que je dois refuser des pratiques considérées comme “dominantes” d'un point de vue patriarcal. À partir du moment où tout le monde est consentant et prend son pied, je ne vois pas où est le problème. Il existe tout un tas de pratiques jugées comme dégradantes pour les femmes, mais pour moi, tout dépend du point de vue de la personne avec qui je les pratique. Par exemple, si un mec veut se faire sucer parce qu'il trouve ça humiliant pour une femme et que ça le fait kiffer, je refuse. En revanche, s'il veut se faire sucer juste parce qu'il aime ça et moi aussi, là il n'y a pas de problème.»
«M'interroger sur les pratiques que j'aime, et pourquoi je les aime me permet de concilier mon militantisme avec le fait de prendre du plaisir.»
Laetitia Reboulleau, journaliste
Elle met en avant l'importance de l'introspection: «Je pense qu'il est important de s'interroger sur les pratiques que l'on aime et pourquoi on les aime. Dans mon cas précis, je m'étais posé la question par rapport à la soumission, et j'ai fini par comprendre que ce n'était pas forcément ce que je préférais, mais comme j'avais intériorisé le fait que c'était ce que la société et mes partenaires attendaient de moi en tant que femme, je m'y pliais. C'est un travail de déconstruction parfois un peu rébarbatif, mais qui me paraît important pour concilier mon engagement militant et le fait de prendre du plaisir comme je l'entends!»
À mon sens, la fellation n'est pas particulièrement anti-féministe. Pas plus que la levrette ou la sodomie. Être féministe ne conditionne pas à ne faire l'amour qu'en position d'Andromaque, à jouir seule et puis à laisser l'homme se finir de son côté. Être féministe ne conditionne pas à la misandrie ou même à tenter de reproduire bêtement, mais à l'inverse, les travers de la sexualité hétéronormée de notre société patriarcale. En suivant cette logique à l'extrême, être féministe empêcherait tout simplement de partager du sexe avec des hommes.
Entre adultes consentants
Un rapport sexuel féministe est un rapport où les deux parties sont tout à fait consentantes, se respectent et prennent du plaisir l'une et l'autre. Si vous avez envie de pratiquer des fellations, mais n'êtes pas très à l'aise avec la position dans laquelle ça vous met (au hasard, à genoux devant quelqu'un), changez la position. On peut tout à fait prodiguer la fellation sur quelqu'un d'allongé (et cela vous place alors au-dessus et en total contrôle).
On peut refuser que la personne vous pose ses mains sur la tête et cherche à contrôler le mouvement en proposant un twist sexy avec un défi à gage («si tu n'arrives pas à t'empêcher de mettre tes mains sur ma tête, tu vas devoir faire quelque chose pour moi») ou en attachant lesdites mains avec un foulard. On peut aussi demander un 69, qui est potentiellement la fellation la plus égalitaire possible… même si rien ne dit jamais que la personne qui prodigue le cunnilingus est aussi talentueuse que celle qui performe la fellation.
Pour la fellation, comme pour toutes les autres pratiques du spectre sexuel, l'important, c'est d'en avoir envie, quelles qu'en soient les raisons. Je ne connais aucune femme qui jouit par la bouche comme Linda Lovelace dans Deep Throat. En revanche, je connais des femmes qui aiment à voir le plaisir qu'elles donnent à leurs partenaires pourvus de pénis et à pratiquer une sexualité ludique fondée sur autre chose que la pénétration pénis dans vagin.
Ces orgasmes offerts ne sont jamais des cailloux lancés au visage de la grande cause féministe. Ils sont l'expression d'un terrain d'entente entre deux partenaires. Un vrai tournant s'opère quand on sort de la sexualité imposée par des passages obligés, ou ce qu'on croit en être, pour entrer dans un monde, souvent beaucoup plus vaste, de désirs vraiment personnels et consentis. L'opportunité de partager ses envies et ses besoins et d'être vraiment entendue et respectée, ça, c'est féministe.
3 Commentaires
Féministe
En Novembre, 2021 (16:18 PM)Popo
En Novembre, 2021 (16:38 PM)Reply_author
En Novembre, 2021 (16:47 PM)Reply_author
En Novembre, 2021 (23:54 PM)Daba La Yefer
En Novembre, 2021 (21:28 PM)je fais une pipe a mon mari et il me fait nourou buujj en meme temps. je lui gicle dessus et il me le met dans la bouche et on dors comme des loirs, ca dure depuis 10 ans, au moins une fois pr semaine, parfois ca remplce le sexe meme
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En Novembre, 2021 (06:51 AM)Reply_author
En Novembre, 2021 (15:53 PM)Reply_author
En Novembre, 2021 (15:53 PM)Participer à la Discussion