Comme en première instance, la cour d’assises de Paris a reconnu l’ancien adjudant-chef coupable de génocide et de crimes contre l’humanité perpétrés en avril 1994 à Nyanza, dans le sud du Rwanda.
L’une des fosses communes du parc commémoratif du génocide de Nyanza, à Kigali, le 11 avril 2024. GUILLEM SARTORIO / AFP
Sans esquisser le moindre geste, Philippe Hategekimana, naturalisé français sous le nom de Philippe Manier, a écouté son jugement. L’ancien adjudant-chef de la gendarmerie a été reconnu coupable, mardi 17 décembre, de génocide et crimes contre l’humanité perpétrés en avril 1994 à Nyanza, dans le sud du Rwanda, et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Un verdict conforme à celui prononcé en première instance.
Après plus de douze heures de délibéré, la cour d’assises de Paris a conclu qu’il s’était « inscrit dans une organisation génocidaire et d’en avoir été le bras zélé », selon le président du tribunal, Marc Sommerer. « Au lieu de remplir vos fonctions de gendarme, de protéger la population, vous avez usé de votre autorité et de votre prestige, a-t-il détaillé. Vous avez pris une part active dans le meurtre de vieillards, de femmes et d’enfants. » Celui que tout le monde surnommait « Biguma » lorsqu’il se trouvait au Rwanda, du nom d’un instituteur réputé pour sa sévérité, était jugé pour des faits imprescriptibles en vertu du principe de compétence universelle qui permet, depuis 2010, de poursuivre les auteurs de crimes graves quel que soit le lieu où ils ont été commis.
« C’est un résultat sans surprise, a déclaré Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association qui traque les génocidaires présumés en France. Le jugement est identique à celui qui avait été prononcé en première instance. Lorsqu’un accusé fait appel dans ce type de procès, il faudrait que celui-ci soit motivé et qu’il apporte des éléments nouveaux. Ce ne fut pas le cas au cours des six semaines d’audience. »
Lors de son procès, Philippe Manier, 67 ans, s’est recroquevillé sur son alibi fragile et ses positions. Il a affirmé avoir quitté Nyanza pour Kigali, la capitale, où il venait d’être muté, dans la deuxième quinzaine du mois d’avril 1994. Il affirme avoir pris la route « le 19 [avril] », soit quatre jours avant l’assassinat de Narcisse Nyagasaza, un bourgmestre qui retardait l’application des consignes génocidaires du gouvernement dans sa commune. Un assassinat dont il a été reconnu coupable. Philippe Manier affirme qu’il ne pouvait pas non plus se trouver sur les collines de Nyamure et de Nyabubare le 23 avril 1994, lorsque plusieurs milliers de Tutsi furent exterminés à la machette par des miliciens Interahamwe et des habitants hutu.
Cavale
Philippe Manier et ses multiples agendas n’ont pas convaincu. Lors de l’instruction, l’accusé a d’abord dit être arrivé à Kigali « le 25 [avril] », puis « le 20 ou le 21 » et une autre fois « le 22 ou le 26 ». « Le récit de Philippe Manier est basé sur le mensonge et les zones d’ombre, a fustigé Rodolphe Juy-Birmann, avocat général, lors de ses réquisitions, vendredi. Pas une ligne n’est sincère, il se moque de la crédibilité de ses dénégations et il a fini par se persuader de ses propres mensonges. »
Après le génocide, « Biguma » s’est enfui, en juillet 1994, au Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo) puis au Congo-Brazzaville, en Centrafrique et au Cameroun. Une cavale durant laquelle il a changé à plusieurs reprises d’identité. Muni de faux documents, Philippe Hategekimana est arrivé en France en février 1999, où il a mis en avant son passé de professeur de sport au Rwanda – ce qu’il a été – auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour obtenir le statut de réfugié.
En avril 2005, il est naturalisé français par décret sous le nom de Philippe Manier. Il travaille alors comme agent de sécurité incendie à l’université de Rennes. En 2015, une plainte est déposée contre lui par le CPCR. Il fuit alors au Cameroun, où il est arrêté trois ans plus tard à l’aéroport de Yaoundé alors qu’il attend son épouse, dont le téléphone a été placé sur écoute par les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH).
Une centaine de témoins se sont présentés à la barre du tribunal de Paris ou ont été entendus en visioconférence depuis Kigali. Trente années après les faits, certains témoignages se sont montrés imprécis et parfois même contradictoires. La défense s’est logiquement enfoncée dans ces brèches pour tenter de les discréditer.
« Philippe Manier a été condamné sur la base d’une preuve incomplète et insuffisante, a déploré Me Emmanuel Altit, l’un des quatre avocats de l’ancien gendarme. Nous avons démontré tout au long du procès qu’il n’y avait rien dans le dossier à l’exception de témoignages fabriqués. »
Massacre
Mais le jury de la cour d’assises a estimé que le récit de Valens Bayingana, rescapé du massacre de Nyamure ayant affirmé avoir vu « Biguma » « avec un uniforme marron, un béret rouge et un fusil » en train de « tirer et donner des ordres », était authentique. Selon lui, Philippe Hategekimana était même celui qui a tiré le premier « sur un groupe de femmes » pour donner le signal de départ du massacre de masse. Les jurés ont aussi estimé que le témoignage de Julienne Nyirakuru, âgée d’une dizaine d’années au moment des faits, était crédible lorsqu’elle a déclaré avoir vu l’adjudant-chef « distribuer des machettes aux habitants ». Beaucoup d’autres ont attesté de sa présence là où les massacres des Tutsi étaient décidés ou orchestrés.
« Sur la colline de Nyaburare, on disait même : “Biguma arrive, aucun ne va survivre !”, a soutenu Aude Duret, avocate générale. Il a coordonné les attaques, il était le chef des opérations. » Sa présence aux « barrières », ces points de contrôle tenus par la population ou par des Interahamwe et où des milliers de Tutsi ont été exterminés au cours du génocide qui a fait entre 800 000 et un million de morts au printemps 1994, a également été attestée à de nombreuses reprises. Sur la barrière de l’Akazu K’amazi – la « borne-fontaine » en kinyarwanda –, où un groupe de vingt-huit Tutsi ont notamment trouvé la mort, cinq témoins l’ont reconnu.
« Le stade ultime du génocide, c’est l’indifférence », a plaidé Jean Simon, avocat de l’association Survie et de quinze parties civiles. Philippe Manier s’est montré un peu moins taiseux au cours de ce second procès, mais il n’a jamais exprimé d’empathie pour les rescapés des massacres qui ont défilé devant lui et n’a prononcé aucun mot de compassion. Avant que la cour se retire pour délibérer, il a lu un court texte dans lequel il a déclaré que « le génocide a été une réalité atroce » et que « toutes les familles avaient été touchées » avant de réaffirmer son innocence. Sa défense a dix jours pour se pourvoir en cassation.
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