« La famille d'un chef d'Etat ne rend
pas service à ce dernier en se lançant
dans un trafic qui heurte la conscience
populaire, car le peuple, qui a faim et soif,
qui vit dans les taudis, est quand même intelligent ».
A. Wade, août 1985
Les visiteurs libéraux qui ont rencontré le président de la République ces derniers jours n
’en reviennent pas. Pour ne pas le mettre en rage, ils évitent de prononcer un nom qu’on ne fait que chuchoter depuis au palais de la République, « Karim ‘Nemess’ Wade ». Il fait partie, avec la Génération du concret, des « portés disparus » du petit lexique de la cour présidentielle. Ceux qui ont souffert de l’autorité du fils du chef de l’Etat ne sont plus obligés de dissimuler leur réjouissance. Ils sont contents de le voir échouer. Ils ricanent en étant certains qu’ils ne seront pas punis. Et quand ils sont devant Abdoulaye Wade, ils lui délivrent le message que ses oreilles attendent : « Monsieur le président, il faut reprendre le parti en main! ». Ils savent maintenant que le vent vient de Thiès. En réalité, on ne peut jamais savoir. Tantôt c’est la pluie qui a causé la perte de leur manger local, tantôt c’est la sécheresse qui est la cause de leur détresse. Parfois, ces thuriféraires soutiennent, comme pris dans un brouillard, qu’il ne s’est rien passé, qu’ils sont vainqueurs dans l’ensemble du pays. Même après avoir perdu Dakar, Saint-Louis, Thiès, Louga, Diourbel, Pikine, Guédiawaye, Saint-Louis, Sedhiou et de nombreuses villes du pays, les libéraux soutiennent qu’ils sont les vainqueurs. Le seul qui soit resté lucide et qui mesure la portée des dégâts causés est le président de la République. Il parle clairement de défaite électorale et avoue sa honte. Quand il a voulu rappeler Idrissa Seck, tous les experts de la Génération du concret lui ont promis une razzia à Thiès. Il a voulu reporter les élections, ils l’ont encore convaincu de s’abstenir: « Tous les sondages, mêmes les plus pessimistes, indiquent que nous allons les battre partout ». Le seul que les sondages n’arrivaient pas à battre, c’était Robert Sagna. Il a été battu.On croyait la partie humiliante terminée avec le défilé du quatre avril boycotté par les chefs d’Etat de la sous-région. Mais la totale est tombée mercredi avec le démenti public du khalife général des mourides, après la sortie malheureuse du chef de l’Etat sur les écoles françaises à Touba. Du jamais vu dans l’histoire de la République. Les journalistes ont écrit un peu partout que le marabout a démenti le ministre Kalidou Diallo. Mais ils oublient que ce n’est pas Kalidou Diallo qui a menti ! Ou alors, il n’a pas menti le premier. Soyons justes avec l’historien de la défunte « gécé ». Ou bien le président de la République a été abusé par son ministre, et c’est grave. Ou bien il s’est abusé tout seul, et c’est encore plus grave. Mais si Kalidou s’est permis une telle frivolité sur une question aussi sensible, c’est qu’il sait que le mensonge n’a jamais dérangé Abdoulaye Wade. Son ministre des Affaires étrangères a déjà excellé dans ce domaine. Il a fait dire au chef de l’Etat, dans un communiqué envoyé à toutes les agences de presse du monde, que le Hamas allait lui remettre en mains propres le soldat israélien Gilat Shalit. C’est le secret de sa longévité au poste. Depuis deux ans que nous attendons l’avion spécial qui doit convoyer le précieux prisonnier, « l’éternel » ne s’est pas ravisé. Il attend encore. Il était de tradition, dans cette jeune République, que le président de la République se garde de déclarations aussi farfelues, pour protéger « l’institution ». Mais le « journaliste » Abdoulaye Wade aime les scoops. Il ne sort jamais sans une nouvelle « rafraichissante », quitte à être démenti par la suite.
Les journalistes qui s’y connaissent ont encore découvert, le soir du trois avril, à quel point le discours présidentiel a été coupé et recollé. Le chef de l’Etat essaie un ton menaçant, se reprend, pique une colère inattendue, dit une chose, répète son contraire. Au bout de plusieurs heures, ses experts entament le « couper-coller ». Abdoulaye Wade lui-même découvre ce qu’il a dit effondré sur son fauteuil, en même temps que les téléspectateurs. On nous coupe la partie qui annonce la création d’une vice-présidence de la République, on nous laisse la partie qui demande aux femmes de choisir entre le poste de vice-président et celui de Premier ministre. Le 31 décembre dernier, ses « conseillers » ont travaillé sur un discours de trois heures, coupant et découpant à souhait. Parfois, c’est le chef de l’Etat qui leur rend la tâche difficile, quand il demande lui-même une pause parce que son fond de teint lui fait ressembler à un « mort ». Son discours du quatre avril pouvait se résumer en ces mots : une vice-présidence pour sauver son pouvoir et un statut de chef de l’opposition pour opposer Niasse et Tanor.
C’est une situation très préoccupante, puisqu’Abdoulaye Wade n’a pas encore entamé la moitié de son mandat. On ne peut pas parler de fin politique non plus, puisque « l’éternel » entend, à la fin de celui-ci, briguer un autre mandat, du moins dans l’esprit de ceux qui pensent que le président n’est pas mortel. A moins qu’il lui arrive ce qui arrive aux footballeurs qui jouent trop avec leur état-civil. La nature finit par les rappeler à l’ordre et les obliger à une retraite anticipée.
C’est pourquoi, quel que soit le bout par lequel on la prend, ce monocrate du quatrième âge connait une triste fin. L’arrogant qui traitait son opposition de « fuyarde » se dit humilié. Il appelle à son secours son ancien collaborateur qu’il traitait de voleur. Les responsables du Pds dissocient maintenant le Pds d’Abdoulaye Wade. C’est un coup de canif au rituel d’adoration qui avait cours jusqu’ici. Abdoulaye Wade veut sauver son fils, les responsables de son parti veulent se sauver. Abdoulaye Faye l’a martelé en des termes courageux, en soulignant que « maintenant, tout le monde sait qui pèse quoi ». Pour dire qu’il n’est plus question que le Pds prenne le risque de perdre le pouvoir en voulant imposer Karim Wade et Doudou Wade contre tous les autres, alors qu’ils n’avaient été d’aucun apport lors de la victoire de 2000. Le président de la République travaille maintenant au schéma le plus fièrement sorti de son intellect, un poste de vice-président. Idrissa Seck deviendrait vice-président, puis coopterait Karim Wade pour se présenter avec lui à la présidentielle de 2012. Mais malgré ses doctorats indénombrables, la réflexion n’est pas le fort du Napoléon de Kébémer, on le sait. Quelle que soit l’issue de ses cogitations cérébrales, il sera la victime ou de son fils ou d’Idrissa Seck.
SJD
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