Au lendemain d'une journée de mutinerie plus violente que les précédentes dans plusieurs villes du pays, la situation semblait peu à peu revenir à la normale à Abidjan mardi 16 mai après la signature d'un accord "définitif", selon le ministère de la Défense. En attendant un retour au calme durable, bon nombre d'Abidjanais avaient toutefois préféré rester chez eux, sur consigne de leurs employeurs.
« Les tours sont quasiment vides. On dirait presque que nous sommes un dimanche, il n’y a pas vraiment de travail aujourd’hui », constatait, un peu désœuvré, l’un des agents de sécurité de la cité administrative. D’ordinaire remplies d’employés et de fonctionnaires, les rues du quartier des affaires du Plateau, à Abidjan, restaient anormalement vides ce mardi midi.
« Nous attendons que les mutins prouvent qu’ils acceptent l’accord annoncé hier en arrêtant de tirer », expliquait un chauffeur de taxi, réticent à voir son nom être cité dans un article de presse. « En attendant, nous restons sur le qui-vive, les gens ont peur », poursuivait-il en poussant l’accélérateur sur les axes déserts du Plateau, la veille paralysés par les barrages des mutins.
« Nous devrions toucher 5 millions de F CFA aujourd’hui »
Depuis l’aube, les mutins s’y faisaient invisibles et avaient regagné leurs casernes. « Nous avons accepté l’accord, nous devrions toucher 5 millions de F CFA (7 600 euros) aujourd’hui, et 2 autres millions (environ 3 000 euros) à la fin du mois de juin », affirmait l’un des mutins sous couvert d’anonymat, confirmant les dires d’autres soldats contactés par téléphone. « Nous avons tous regagné nos casernes, nous espérons maintenant que les autorités tiendront parole », poursuivait le jeune soldat, en poste à l’état-major des armées, au Plateau.
La veille, le quartier des affaires avait vécu au rythme des rafales de tirs en l’air des mutins, de nouveau sortis de leurs casernes pour faire valoir le paiement de leurs primes. Après une première série de mutineries en janvier, 8 400 soldats, en majorité d’ex-rebelles intégrés à l’armée après avoir combattu lors de la crise post-électorale, avaient affirmé avoir obtenu 5 millions de F CFA. Selon eux, sept autres millions devaient leur être versés par tranches d’un million chaque mois.
« L’argent ou rien »
Un arrangement sur lequel les autorités sont toujours restées silencieuses, mais que les mutins leur ont bruyamment rappelé vendredi 12 mai. À l’origine de leur nouveau mouvement d’humeur : l’annonce par un sergent présenté comme l’un de leur porte-paroles, jeudi 11 mai, de leur renoncement « à toute revendication d’ordre financier » lors d’une cérémonie enregistrée au palais présidentiel en présence d’Alassane Ouattara. Loin de clore les mutineries, cette déclaration avait au contraire ravivé la fronde dans les casernes.
« Nous voulons que nos primes soient payées, c’est l’argent ou rien », affirmait à coup de tirs en l’air lundi midi un soldat en colère, posté devant l’un des barrages établis entre le camp Gallieni et le ministère de la Défense.
À ses côtés, un autre mutin, visage cagoulé, s’emportait contre les mises en garde de l’état-major des armées, qui les avait de nouveau averti dimanche de « sanctions » et d’ « opération militaire ». « Ils ne négocient pas, ils disent que nous sommes des bandits et ils nous menacent d’intervention. Nous sommes prêts s’ils arrivent », affirmait ce soldat, avant de tirer en l’air pour prouver sa détermination.
« C’est le pays tout entier qui y perd »
Même ambiance aux abords du nouveau camp militaire d’Akouédo, où des tirs résonnaient depuis la nuit de dimanche à lundi. Après une journée d’inquiétude, illustrée par la présence massive des forces de l’ordre déployées dans ce quartier de la Riviera, les tirs avaient cessé mardi matin, mais l’atmosphère restait marquée par les rafales de la veille.
« Nous avons rouvert nos portes ce matin, mais nous craignons que la situation ne soit pas définitivement réglée », s’inquiétait mardi matin Hussein Kassem, gérant d’un magasin installé à quelques centaines de mètres du nouveau camp militaire d’Akouédo. Comme l’écrasante majorité des commerçants du quartier, ce dernier avait fermé ses portes la veille. « Ces événements tuent le commerce. Nous voyons bien que nos clients s’inquiètent de cette instabilité », déplorait-il.
Quelques mètres plus loin, le gérant d’un petit supermarché fulminait lui aussi contre les conséquences de ces mutineries successives. « Nous espérons que cette fois, il s’agit du bon accord. Ici, nous avons perdu de l’argent, mais c’est le pays tout entier qui y perd. Nous sommes fatigués », expliquait-il, également sous couvert d’anonymat, traduisant l’exaspération de nombreux Ivoiriens, désormais également dirigée à l’encontre des autorités. « On est fatigués, le gouvernement n’a presque rien fait depuis vendredi pour calmer les choses et gérer la situation », s’emportait mardi matin un agent de sécurité du Plateau, renvoyant désormais dos à dos gouvernement et mutins.
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