La République démocratique du Congo serait-elle dans le viseur de l’internationale jihadiste ? Sans aucun doute, affirme le journaliste d’investigation congolais Nicaise Kibel’Bel Oka. Il explique à franceinfo Afrique que l’organisation Etat islamique est sortie de la clandestinité en revendiquant une attaque contre une caserne dans la province agitée du Nord-Kivu, le 16 avril 2019.
C’est un bon connaisseur de la région des Grands Lacs et particulièrement des provinces congolaises agitées du Kivu où il réside. Il enquête depuis plusieurs années sur la nébuleuse islamiste dans la région de Beni où les Forces démocratiques alliées (ADF) d’origine ougandaise, sèment la mort et la désolation.
Devenus le bras armé de l’internationale jihadiste, ce sont ces rebelles musulmans opposés au président Yoweri Museveni et implantés dans cette zone frontalière de l’Ouganda depuis 1995 qui ont mené l’attaque du 16 avril. Elle a coûté la vie à deux soldats congolais. Et pour la première fois, l’opération a été revendiquée par l’agence de propagande de l’organisation Etat islamique.
"Les islamistes ont travaillé longtemps dans la clandestinité. Ils ne souhaitaient pas que le vrai nom du groupe islamique soit connu. Ils se sont fait connaître sous le nom d’ADF, l’Alliance des forces démocratiques. Cette revendication marque la fin de plusieurs années de clandestinité", explique le journaliste Nicaise Kibel’Bel à franceinfo Afrique.
Une base islamiste dans le Parc des Virunga
Nicaise Kibel’Bel se penche sur la question du péril islamiste en RDC depuis plusieurs années. Il avait alerté l’opinion publique dans un livre intitulé L’avènement du jihad en RDC, un terrorisme islamiste ADF". Dans ses enquêtes, il avait révélé que des fanatiques musulmans issus de la secte pakistanaise Tabliq, installés d’abord en Tanzanie, puis en Ouganda, avaient élu domicile dans les montagnes du Ruwenzori, à l’est de la RDC, à partir de 1995.
Ils avaient installé leur base dans la forêt impénétrable du Parc des Virunga avant de mettre en place des réseaux bien structurés dans la région de Beni, devenue, selon lui, le terminal de tous les islamistes qui entrent incognito en RDC, en provenance notamment du Burundi et de la Tanzanie.
"Au départ, la ville de Beni a été choisie pour former les gens à la foi islamique. Des bataillons formés ici sont allés combattre en Afghanistan et en Somalie. Beni n’était donc pas le lieu pour faire la guerre, mais plutôt un foyer de formation idéologique de combattants qu’on envoyait en Somalie et en Afghanistan", témoigne-t-il.
Un réseau insaisissable avec des ramifications à l’étranger
Le journaliste congolais décrit à franceinfo Afrique un réseau bien organisé devenu insaisissable. Avec des ramifications qui vont désormais au-delà des frontières congolaises. "Il y a des transferts d’argent qui viennent notamment de l’Afrique du Sud, du Kenya, de Grande-Bretagne, des transferts d’argent par Western Union avec des noms d’emprunt. De l’argent destiné au réseau ADF. En l’espace de 30 minutes, quelqu’un peut transférer trois fois la somme de 100 dollars au profit d’une même personne. Celle-ci reçoit en même temps les indications nécessaires sur la destination de cet argent."
Des combattants de Daech déchus en Syrie seraient-ils déjà arrivés dans la région ? Difficile de le savoir, répond notre confrère. Mais il fait remarquer que les services kényans ont arrêté récemment un Kenyan du nom de Walled Ahmed Zein, présenté comme un conseiller financier de l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Il serait responsable du transfert de 150 000 dollars via un réseau lié à Daech qui couvrait de nombreux pays, y compris la RDC. L’homme a été remis aux services américains et placé en détention aux Etats Unis.
Il y a des imams étrangers qui sillonnent la région et qui recrutent des combattants surtout pendant la période du Ramadan
Nicaise Kibel'Bel, journaliste d'investigation congolais
à franceinfo Afrique
Le journaliste congolais observe que, pour l’instant, la menace islamiste qui plane sur la RDC ne préoccupe nullement les partenaires de Kinshasa, y compris la mission de l’ONU pourtant présente en nombre dans le Nord-Kivu. "Ce qu’il faut craindre avec la porosité des frontières et la faillite de l’Etat congolais, c’est que les terroristes se mettent à faire exploser leurs bombes. Ils l’ont déjà fait à six reprises. Mais ils pourraient accélérer ce mode opératoire dans des endroits publics, comme ils le font dans les pays du Sahel, au Mali ou au Burkina Faso", redoute-t-il.
Quelle stratégie pour éviter le pire ?
Nicaise Kibel’Bel estime que les pays de la région des Grands Lacs devraient mieux coordonner leurs services de renseignements et dépasser la méfiance qui règnent entre eux : "Méfiance totale entre le Rwanda et la RDC, entre la RDC et l’Ouganda, entre le Rwanda et le Burundi et entre le Rwanda et l’Ouganda." Il faut aussi, insiste-t-il, être vigilants au niveau des frontières poreuses entre les Etats de cette région pour empêcher le passage de personnes mal intentionnées.
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