À Gatundu, ville d’origine d’Uhuru Kenyatta dans le centre du Kenya, les habitants dénoncent une décision injuste et injustifiée de la Cour suprême, et promettent une victoire certaine lors des prochaines élections présidentielles, le 17 octobre. Reportage.
Dominic Marangi pointe fièrement un portail imposant sur lequel on aperçoit le bouclier et les deux lances du drapeau Kényan. « Voici la maison de deux des quatre présidents que le Kenya a eu », dit cet habitant du voisinage. C’est ici, à Gatundu dans le comté de Kiambu, que Jomo Kenyatta le père de l’indépendance, a passé une grande partie de sa vie, loin de la présidence à Nairobi qu’il considérait, disent les habitants, comme hantée par les fantômes des colons anglais. C’est ici aussi, que le premier président a fait prêter des « serments d’allégeance kikuyu » à des milliers de Kényans, afin d’unifier sa tribu derrière lui à la fin des années 1960.
C’est également à Gatundu qu’Uhuru Kenyatta, son fils, est venu voter le 8 août dernier avant que sa victoire ne soit déclarée « nulle et non avenue » par la Cour suprême. Un revers violent pour le président et pour son clan. Les Kikuyus, majoritaires au Kenya (17% de la population) dominent la vie politique du pays depuis l’indépendance, à l’exception des 24 ans au pouvoir de Daniel Arap Moi, un Kalenjin (1978-2002).
Le ton monte d’un cran
Ici, Uhuru Kenyatta aurait remporté plus de 90% des voix le mois dernier. Et la colère contre les juges est grande : « C’est peut-être juste pour eux, les leaders de l’opposition, mais ce n’est pas juste pour nous. La cour n’a pas respecté la volonté des votants », s’exclame Irène Kinyanjui, vendeuse de légumes, en arborant fièrement sa jupe à l’effigie du président. Dans le centre du Kenya, le ton est monté d’un cran la semaine dernière, lorsque Moses Kuria, député fraîchement réélu de la circonscription da Gatundu, a appelé sur sa page Facebook à « une chasse aux 70 000 personnes ayant voté pour l’opposition dans le comté de Kiambu ».
L’élu du Jubilee, la coalition qui soutient Uhuru Kenyatta, est connu pour ses sorties incendiaires et polémiques pour lesquelles il a déjà été arrêté à plusieurs reprises. Et si les habitants tout comme les cadres du parti se désolidarisent de ses propos, l’homme reste néanmoins très populaire. « Ici, nous aimons Moses Kuria car il est courageux, et il ne cache rien », explique Martin, un jeune militant.
En « terre kikuyue », l’idée d’une présidence de Raila Odinga leader des Luos, qui représentent environ 10% de la population, soulève rires gênés et regards inquiets
La pilule est donc difficile à avaler, bien que tous affirment respecter la décision de la plus haute juridiction kényane. Mais pour beaucoup l’annulation de l’élection n’est qu’un accident de parcours, car la victoire est certaine lors du prochain scrutin le 17 octobre. « Nous sommes prêts, et nous mobiliserons toutes nos ressources pour cette nouvelle campagne », déclare, échauffé, Ernest Karanja, secrétaire général du Jubilee, le parti d’Uhuru Kenyatta, pour le comté de Kiambu.
Devant un bureau de vote lors du scrutin présidentiel du 8 août, à Gatundu, au Kenya.
« Personne, je dis bien, personne, ne pourra voler la présidence à Uhuru Kenyatta » conclut-il. Le 8 août, le Jubilee a raflé une majorité de gouverneurs et de parlementaires. Ces élus locaux vont faire campagne pour le président sur le terrain. Tous promettent un écart de plusieurs millions de voix avec Raila Odinga, répétant le nouveau slogan du parti : « Wembe ni uleule », une expression kiswahilie signifiant « un nouveau coup de rasoir », c’est à dire, une nouvelle humiliation pour Raila Odinga, le candidat de l’opposition.
Car en « terre kikuyue », l’idée d’une présidence de Raila Odinga leader des Luos, qui représentent environ 10% de la population, soulève rires gênés et regards inquiets. Raila Odinga y est dépeint comme un homme cupide et obsédé par le pouvoir. Dans le comté de Kiambu, un des plus riches et des plus développé du pays, il représenterait surtout une menace pour les affaires et la propriété privée, majoritairement détenues, selon les perceptions, par la tribu d’Uhuru Kenyatta.
« Mettre fin une bonne fois pour toute à la carrière politique de Raila Odinga »
« En tant que Kikuyu, en tant que personne qui travaille dur, je suis en colère contre Raila Odinga. Quand ses partisans font des émeutes, ils brûlent des magasins. Parce que cela ne leur appartient pas ! Cela appartient au Kikuyus et aux autres tribus ! » s’exclame Paul Mwangi, qui tient une quincaillerie à Gatundu. La défiance entre les Kikuyus et les Luos remonte aux premières années d’indépendance. En 1966 Jomo Kenyatta écarte du pouvoir son vice-président Oginga Odinga, le père de Raila Odinga. Suivra rapidement l’assassinat, jamais élucidé, d’un autre politicien luo très populaire, Tom Mboya, en 1969.
Pour les Luos, c’est le début d’une longue exclusion du pouvoir politique. « À partir de là, la tension entre les deux tribus est devenue très importante. Et, même si aujourd’hui les choses ont changé, la nouvelle génération assimile Raila Odinga à son père, comme quelqu’un qui en veut aux Kikuyus. Ils ne seraient donc pas à l’aise avec une présidence de Raila Odinga, qu’ils voient comme quelqu’un qui veut les punir », explique Nganga Thairu, journaliste au quotidien The Star dans le comté de Kiambu. À Gatundu, on se prépare donc à aller voter une nouvelle fois pour « mettre fin une bonne fois pour toute à la carrière politique de Raila Odinga », conclut une habitante.
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