Depuis 1998 et la guerre contre l’Ethiopie, Issaias Afeworki, président de l’Erythrée, a introduit un service militaire d’une durée indéfinie. Ainsi, lorsqu’un citoyen érythréen entre à l’armée lors de sa dernière année de lycée, il ne sait jamais s’il en ressortira un jour.
Selon les estimations de l’ONU, chaque mois, entre 2 000 et 3 000 personnes fuient le pays, principalement dans le but d’échapper à cette conscription forcée.
Mais pour les Erythréens, quitter leur territoire n’est pas une mince affaire et le sort qui les attend à l’étranger est parfois pire. A l’heure actuelle, entre 400 et 500 réfugiés érythréens seraient retenus en otage dans le Sinaï.
Sortir du pays, la mort au bout du chemin ?
La plupart des Erythréens qui vivent en exil sont des personnes jeunes qui ne supportaient plus de passer leur vie à l’armée [PDF]. Ils profitent en général des dix jours de permission qui leur sont accordés tous les six mois pour s’enfuir, ou, si l’occasion se présente, ils s’évadent de l’immense caserne de Sawa pour se rendre dans la région de Kassala, au Soudan.
Une fois arrivés au niveau de la frontière, les candidats à l’exil doivent redoubler de vigilance. Les gardes-frontière érythréens ont pour ordre d’empêcher leurs concitoyens de quitter le pays et pour ce faire, ils n’hésitent pas à tirer pour tuer.
Ceux qui arrivent à quitter le pays sains et saufs arrivent en Ethiopie ou au Soudan. De là, ils vont tenter de rejoindre l’un des camps de réfugiés situé aux abords de la frontière.
Des lieux où les conditions de vie et de sécurité sont si déplorables que la plupart des exilés n’y font qu’une brève escale avant de reprendre la route vers le nord, en direction de Khartoum, la capitale soudanaise, et dans une moindre mesure vers l’Europe et Israël.
Laurie Ljinders est anthropologue. Elle mène depuis deux ans une étude [PDF] sur les trafics d’êtres humains et la torture dont les réfugiés Erythréens font l’objet sur la route d’Israël :
« Ces camps sont fondés par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), mais l’ONU n’y assure pas de présence permanente. De plus, les réfugiés sont obligés de sortir du camp pour travailler ou ramasser du bois dont ils se servent pour cuisiner.
Etant donné qu’il n’existe pas de véritables services de sécurité pour assurer la protection des personnes qui y séjournent, ils sont particulièrement exposés aux risques de kidnapping. »
Une chasse aux réfugiés
A partir du milieu des années 2000, les réfugiés érythréens vont commencer à prendre la direction d’Israël. Face au nombre croissant de candidats au départ, un réseau de passeurs va se développer à l’échelle internationale autour de Bédouins du Sinaï et des membres de la tribu des Rashaïdas, originaires du Soudan et d’Erythrée.
Meron Estefanos est une journaliste et militante des droits de l’homme. Avec deux chercheurs de l’université de Tilburg (Pays-Bas), elle vient de publier un rapport [PDF] sur les trafics d’êtres humains qui se sont développés entre le Soudan et le Sinaï.
Meron Estefanos :
« Les Rashaïdas disposent de plusieurs passeports, ils se déplacent librement en Ethiopie, au Soudan et en Egypte. Ils connaissent parfaitement le désert, et avec leurs connexions avec d’autres tribus de Bédouins en Egypte, il leur est très facile de faire passer des réfugiés de la Corne de l’Afrique jusqu’au Sinaï. »
Jusqu’en 2010, en échange de 1 000 dollars, les Erythréens pouvaient rallier Israël en quelques semaines seulement. Mais au vu des conditions de vie devenant de plus en plus difficiles au sein de l’Etat hébreu, le nombre de candidats au départ va considérablement diminuer. Pour contrer ces importantes pertes économiques, les Rashaïdas se sont reconvertis dans le kidnapping de réfugiés.
Laurie Ljinders :
« Si beaucoup de kidnappings ont lieu dans les camps de réfugiés, les Erythréens se font aussi kidnapper au moment où ils sortent de leur pays. Dans ces régions frontalières, les Rashaïdas, aidés par des gardes-frontière soudanais, se livrent littéralement à une chasse aux réfugiés. »
Une première rançon de quelques milliers de dollars est alors exigée par les Rashaïdas. Lorsque les réfugiés peuvent payer, ils sont relâchés, mais ceux qui n’arrivent pas à se procurer la somme exigée sont revendus à des Bédouins égyptiens qui viennent au Soudan acheter des réfugiés par dizaines, avant de les ramener dans des camps de torture du Sinaï, où ils tenteront par tous les moyens de leurs extorquer des rançons pouvant s’élever jusqu’à 50 000 dollars.
Dans les camps de torture du Sinaï
Après un voyage de plusieurs milliers de kilomètres à travers le désert, les réfugiés arrivent dans le Sinaï où ils sont maintenus à proximité de la frontière israélienne. Enfermés dans des caves, des garages ou des containers enterrés à plusieurs mètres de profondeurs, ils sont torturés jusqu’à ce que leurs proches payent la rançon exigée par les preneurs d’otages.
Plus ils tardent à payer, et plus leurs chances de sortir vivants de cet enfer s’amenuisent. Un travailleur social qui intervient auprès des victimes de ces trafics en Egypte a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat.
« La majorité des otages passent de trois à six mois dans le Sinaï avant que leurs proches arrivent à réunir l’argent nécessaire pour payer leur rançon. Certains y restent jusqu’à huit mois ou un an, mais dans ces cas-là, ils sont tellement affaiblis qu’ils succombent souvent à leurs blessures quelques jours après avoir été libérés.
Tous les otages sont maintenus enchaînés les uns aux autres pour qu’ils ne puissent pas s’enfuir et les Bédouins les nourrissent à peine. Certaines victimes nous racontent qu’ils ont parfois passé plusieurs jours de suite sans manger. »
Afin d’obtenir les rançons exigées, les trafiquants appellent par téléphone les familles des otages restées en Erythrée ou vivant en exil à l’étranger pendant qu’ils se livrent à des séances de torture sur leurs proches.
« Chaque femme qui est passée par un camp de torture du Sinaï a été violée. Ils les violent collectivement et utilisent parfois des objets ou brûlent leurs parties génitales. Les hommes sont torturés quotidiennement, ils sont brûlés avec du plastique fondu, frappés sur la tête et sous la plante des pieds avec des bâtons. Parfois, les méthodes de tortures sont encore plus horribles.
Un groupe d’otages vient récemment d’arriver au Caire. Ils étaient maintenus avec d’autres Erythréens qui, contrairement à eux, ne pouvaient pas payer l’intégralité de leur rançon à temps.
Les Bédouins leur ont cassé les bras en plusieurs morceaux avant de leur asperger les jambes d’essence pour les immoler. Ils ont survécu à leurs blessures, mais s’ils restent dans le Sinaï plus longtemps, en l’absence de soins, je ne vois pas comment ils pourraient survivre. »
Ils les torturent aussi psychologiquement :
« Je me rappelle d’un groupe d’otages qui est arrivé il y a déjà quelques mois au Caire. Tous les matins, les Bédouins les réveillaient avec une même chanson qu’ils diffusaient dans le camp avec le son à fond. Ils forçaient les otages à danser et à s’embrasser. Très souvent, ils les forcent à se frapper entre eux. Ce genre de jeux amuse apparemment beaucoup les Bédouins.
Après plusieurs mois passés dans ces camps de torture, les victimes gardent des séquelles psychologiques indélébiles. Quand ils arrivent au Caire, il y a plein de choses qui leur rappellent leur période passée en captivité. Quand ils entendent certaines musiques, qu’ils voient un pick-up semblable à ceux utilisés par les Bédouins pour les ramener du Soudan.
Même le visage des Egyptiens, la langue arabe, tout cela a tendance à les terroriser, ce qui rend le travail de reconstruction encore plus difficile. »
Le Caire plutôt que Tel-Aviv
Jusqu’en juin, date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi israélienne sur les « infiltrations“, après avoir payé leur rançon, les réfugiés étaient amenés par les Bédouins au niveau de la frontière afin de passer en Israël.
Meron Estefanos :
‘Depuis deux mois, après versement de la rançon, nous exigeons des preneurs d’otages qu’ils amènent les victimes au Caire. Avec la loi sur les infiltrations, si elles entrent en Israël, elles vont se retrouver enfermées pour trois ans à Saharonim, peu importe les souffrances qu’elles ont subies dans les camps du Sinaï.
Avec l’aide de Bédouins égyptiens qui cherchent à mettre un terme à ce genre de trafics, nous les dirigeons maintenant vers Le Caire où des associations leur viennent en aide pour se soigner et obtenir le statut de réfugiés auprès du HCR.’
Selon l’employé d’une ONG égyptienne, au cours de l’année 2012, sept réfugiés se sont fait kidnapper au Caire dans des taxis et aux abords du métro.
‘Il s’agit là d’une pratique nouvelle dont on ne connaît pas grand-chose. Il faut donc rester vigilant et renforcer les mesures de sécurité autour des réfugiés qui se trouvent au Caire. Le mieux pour les victimes de ces trafics serait qu’elles soient réinstallées dans un autre pays, loin de l’Egypte et des mauvais souvenirs qu’elles y associent et qui les handicapent grandement dans leur processus de reconstruction psychologique.’
Avec l’exode toujours plus imprtant des Erythréens fuyant la dictature d’Issaias Afeworki, si les gouvernements soudanais et égyptiens persistent à faire preuve d’un total immobilisme face aux trafics d’êtres humains qui ont lieu entre le Soudan et le Sinaï, les prises d’otages et la torture de réfugiés risquent fort de constituer une activité lucrative pendant encore plusieurs années pour les trafiquants de la région.
4 Commentaires
Considerés Comme Juifs
En Novembre, 2012 (20:27 PM)Djifaghor
En Novembre, 2012 (02:07 AM)Wakh Deug Rek
En Novembre, 2012 (02:33 AM)POURTANT NOUS LES SOUTENONS CHAQUE FOIS QU'ILS SONT ATTAQUES PAR ISRAEL.
Ne Sont-ils Pas
En Novembre, 2012 (21:39 PM)Honte à tous ces arabes qui ne font que renforcer le racisme ethnique et religieux !
Quand je pense que les africains vomissent les toubabs , qu'ils aillent faire un stage en Erythrée ou au Soudan , ils lècheront le c*ul des colons blancs ......
de vrais sauvages , beurk
Participer à la Discussion