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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Les mots ne sont pas morts

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Les mots ne sont pas morts

 « Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à sa chaussure,
alors que c’est son pied le coupable »
Samuel BECKET

 

Vous êtes peut-être allés trop vite en besogne, vous tous qui pensiez que Wade allait faire cadeau du Sénégal à son « fils » Idrissa Seck. La station de cure aux abords du lac Leman lui a changé les idées. Il a mis une condition à son appel « sans condition », il est revenu à l’ordre des radicaux de sa famille qui pensent que l’ancien Premier ministre est une ordure. Ce n’est pas son machiavélisme politique qui parle, croyez-moi. C’est son corps. Durant tout son septennat, le président de la République a soumis ses humeurs à son bulletin de santé. Il a été colérique, parce qu’il n’entendait pas très bien son interlocuteur. Il est parfois sorti de son texte pour dire des énormités, parce qu’il ne voyait plus rien. Son opération aux yeux devait l’obliger à porter des lunettes, il le refuse, parce que c’est un signe de vieillesse et de dégradation physique qu’il refuse de montrer. Evidemment, ça le met dans des états d’âme fluctuants que le traitement à la cortisone aggrave. L’homme qui est de bonne humeur, gentil et optimiste sous l’effet de la cortisone, devient subitement méfiant, pessimiste, à la limite vieillissant et acariâtre. Chez maître Wade, la volonté de ne jamais laisser paraître un signe de déchéance, ce qui est somme toute noble, corse ce tableau pathétique. Quand il a ses toux, il accuse ceux qui ont laissé les fenêtres ouvertes. Quand il n’entend pas très bien, ce qui n’arrive plus depuis qu’il est « sous appareil », il accuse son interlocuteur de ne pas parler assez fort. Il forme un gouvernement, et une semaine après, dit avoir été trompé pour justifier un nouveau remaniement. Il ne supportait pas la contradiction, mais au fil des ans, cet homme ne supporte même plus l’approbation.
Il arrive malheureusement, pour un chef d’Etat, un âge où il ne gouverne plus, il « résiste ». Les collaborateurs de l’ancien président français Georges Pompidou connaissent ces moments où tout doit être caché sous le terme générique, en réalité mensonger, de « grippe ». L’ancien camarade de classe du président Senghor avait toujours un verre de whisky et une cigarette devant les journalistes, question de leur montrer qu’il était en bonne santé. Son Directeur de cabinet Edouard Balladur était obligé de dire à ses visiteurs « quand vous sortez, dites que le président va bien », tellement la rumeur enflait. Chez Wade, c’est aussi « la grippe ». Il a toujours le buste bien droit, mais il lui sera très difficile de toujours présenter l’image de l’homme « pile wonder », travailleur inusable et voyageur infatigable.
Le président de la République a lui-même toujours répondu aux rumeurs les plus alarmantes sur son état de santé par son humour placide. Mais n’est-ce pas bien plus sérieux, puisqu’il engage en même temps la vie de 11 millions de personnes ? Nous en parlons justement, parce que sa maladie n’est pas celle de n’importe qui d’entre-nous, et elle est en train de trop déterminer le quotidien des sénégalais.
Pompidou a voulu introduire le quinquennat en France, parce que ses médecins avaient diagnostiqué chez lui une maladie incurable. Mitterrand a précipité de nombreuses réformes, parce que les prévisions les plus optimistes lui donnaient 5 ans. Wade a voulu prolonger son mandat de deux ans et reporter la présidentielle avec un argument compréhensible. « Je ne peux pas faire deux mandats, je veux terminer mes chantiers et partir », avait-il dit.
Malheureusement, dans des circonstances de ce genre, les hommes, en fonction de la grandeur qu’ils se donnent et de l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, choisissent des voies parfois malheureuses. Le 12 avril 1964, le général de Gaulle devait subir une intervention à la prostate. Quelques jours avant cette intervention, il écrit une lettre à son fils Philippe, lui disant « mon cher Philippe, s’il devait arriver que je disparaisse prochainement, sans avoir directement fait connaître qui, dans les circonstances présentes, je souhaite que le peuple français élise pour mon successeur immédiat  comme président de la République, je te confie le soin de publier aussitôt la déclaration ci-jointe. Je dis : mon successeur immédiat, parce que j’espère qu’ensuite c’est toi-même qui voudras et pourras assumer à ton tour la charge de conduire la France. Ton père très affectionné ». On voit bien le désordre institutionnel dans lequel le général aurait mis la France s’il mourait ce jour-là, puisque son successeur en cas de vacance du pouvoir, conformément à la Constitution de la 5ème République, devait être le président du Sénat, et non son fils.

Le problème de Wade, ce n’est pas d’avoir tué tous ses fils. Le dernier en date sera englouti par les chantiers dits de l’Anoci. Il n’a finalement été capable de rien, et l’Etat cherche à convaincre ses partenaires arabes de tenir le sommet, tenez-vous bien, au Méridien Président ! Le problème du président de la République, c’est d’avoir consacré la mort du politique. Nous ne le remercierons jamais assez de nous avoir révélé des hommes comme Idrissa Seck, Djibo Kâ, El Hadj Diouf, Abdoulaye Babou. Il les a fait taire à jamais. Il a réussi, en quelques mois, une entreprise de destruction qui aurait pris toute une vie. Mais le mal, c’est d’avoir « prouvé » à tous les Sénégalais que dans le fond, tous les politiciens sont comme les brins d’allumettes, ils ont la même tête. Il l’avait bien dit en mars 2004, c’est une histoire de « poste ». C’est ce qui fait dire à de larges pans de l’opinion que si nous devons choisir entre deux maux, Idrissa Seck et Karim Wade, autant prendre le premier.
L’idée, contrairement à ce qui a pu être dit, ne rencontre l’assentiment ni de Viviane, ni de son fils. La vie tient parfois en de petits détails, et il y en a un que la première dame n’arrive pas à oublier. C’est la scène qu’Idrissa Seck raconte, quand elle vient les distraire dans le bureau du président de la République, alors qu’ils parlaient d’affaires sérieuses comme l’arme du directeur de cabinet du président ou la cagnotte laissée par le président Diouf. « Je peux tout oublier, mais ça, je ne peux pas », martèle Viviane. Ces petits mots prononcés dans le « CD numéro 1 » pèsent lourd dans cette tentative de réconciliation. Elle reste persuadée que dans ce Sénégal, son fils finira bien par prendre le pouvoir, et l’idée que l’ancien Premier ministre puisse être associé à ce projet la répugne. Or, l’âge et la maladie ont soumis le chef de l’Etat aux caprices de son corps et au diktat de ses proches. Ils ne veulent pas de cette réconciliation tardive, et Abdoulaye Wade et son ancien Premier ministre viendront tôt ou tard à ce constat d’échec. Le président de la République ne peut plus s’écouter parler sans écouter les autres, les membres de sa famille particulièrement. Un membre de l’entourage présidentiel me disait assez justement, que les deux hommes « seront obligés de se rendre compte que la réconciliation est impossible ». Les cadres libéraux sont en train de corser la note de l’humiliation. Cette bande de mandarins sans mandat a déjà tourné le dos à Macky Sall, et prépare la mort d’Idrissa Seck. Tout est entrepris pour présenter cet homme comme un bon à rien, capable de trahir tout le monde pour arriver à ses fins, et ils sont en train de réussir. Et c’est d’autant mérité que c’est vrai, Idrissa Seck s’est trop renié, trop trahi. Quand tout sera fini, il ne restera de lui que sa dépouille, et Wade n’en voudra pas pour un sou. Il jubile déjà à l’idée d’avoir droit de vie ou de mort sur son ancien poulain : « si je le prends il est mort, si je ne le prends pas il est mort ».



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