L’histoire du jeune talibé de Kaolack battu presque à mort par son marabout pour 200 francs nous a tous émus. Tout le monde semble choqué par cet acte barbare qui heurte la morale. Mais ceci renseigne plus sur un phénomène qui connaît de jour en jour des proportions inquiétantes.
Aujourd’hui, les Sénégalais semblent être habitués à ce genre d’histoires qui passent presque pour des faits divers tant ce phénomène est devenu récurrent et banal. Combien de fois avons-nous lu dans la presse ou entendu parler d’un talibé torturé par son marabout ou renversé par un automobiliste ?
Cette histoire va encore alimenter les sujets de discussion des grand-places pour quelques jours, en attendant qu’une autre de ce genre se reproduise encore et encore...
Les gens ont beaucoup débattu sur cette question et sur la nécessité d’éradiquer définitivement ce fléau mais les principaux concernés refusent de prendre leurs responsabilités. Par principaux concernés, je veux parler des parents d’abord, des marabouts ensuite et de l’Etat, enfin.
Nous sommes tous coupables !
J’ai vraiment eu honte d’entendre le père de l’enfant dire qu’il a pleuré toute la journée en voyant son fils dans cet état. Moi, j’ai envie de pleurer de l’entendre dire cela car c’est un manque de respect envers nous autres qui l’écoutons. Il est le premier coupable dans cette affaire pour avoir envoyé son enfant dans cette école de la mendicité. Il est beaucoup trop facile de se dédouaner sur le marabout après lui avoir confié son enfant tout en sachant ce qui l’attendait. Il savait pertinemment qu’en envoyant son enfant chez ce marabout, il serait comme tous les autres enfants, errant en haillons dans les rues, à longueur de journée pour chercher des quelques francs pour enrichir le marabout et faire le guêt dans les gargotes à l’heure des repas, en espérant qu’une âme charitable daigne lui donner le reste de son repas. Le crime est le même le marabout, ce soi-disant père qui doit également être jeté en prison.
Comment peut-on confier son enfant à quelqu’un, sans rien lui donner en retour pour sa prise en charge? Comment comprendre l’attitude de ces parents qui «se débarrassent» presque de leurs enfants qui n’ont pourtant pas demandé à naître ? Est-ce imaginable d’envoyer son enfant dans une école publique sans lui acheter de fournitures, le laisser sale, pieds nus et sans nourriture ni habits? Pourquoi personne n’envoie-t-il son enfant à l’école publique dans les mêmes conditions vestimentaires et sanitaires que les talibés ?
Parce que ce sont des talibés.
Il est beaucoup trop facile de faire des enfants et de se débarrasser d’eux sous prétexte que l’éducation apportée par les marabouts est indispensable. Les parents se voilent la face en refusant de voir dans quelles conditions vivent leurs enfants. C’est un mauvais service que l’on rend à la société, car la plupart de ces enfants deviennent des délinquants, des drogués et autres criminels. Comment en serait-il autrement puisque la seule chose qu’ils apprennent est la mendicité et le vol.
Ces enfants n’ont pas demandé à naître et donc, ne méritent pas ce traitement. Comme tout enfant, ils auraient souhaité mener une vie harmonieuse, avoir le temps de jouer, de manger à leur faim, de se baigner, de dormir sur un bon lit, de recevoir une bonne éduction ; autrement dit d’être traité comme des humains.
Pourtant, l’éducation religieuse existe bien dans d’autres contrées du Sénégal mais différente de cette pratique. Ceci démontre le caractère régionaliste et socio-culturel de ce phénomène.
Les ethnies vivant dans le Sud du pays considèrent la mendicité comme un déshonneur, ce qui explique pourquoi le phénomène y est quasiment inexistant, tout comme dans les pays musulmans limitrophes du Sénégal. Ne sont-ils pas des musulmans au même titre que ceux qui vivent à Dakar ?
Comme beaucoup de Sénégalais, j’ai appris le Coran dans ma jeunesse mais sans être un mendiant. Cela ne m’a, par ailleurs, pas empêché de suivre un cursus scolaire normal.
Coupable, les marabouts le sont au même titre que ces parents.
Certains marabouts, plus escrocs qu’hommes de Dieu, accueillent plusieurs dizaines d’enfants dans un seul but : le profit personnel.
Les petits talibés, âgés parfois d’à peine 4 ou 5 ans, sont alors maltraités, mal soignés, et doivent mendier 7 jours sur 7, durant toute la journée, voire même la nuit.
Comment parler d’éducation dans ces conditions ?
Le résultat est sans appel : des milliers d’enfants en haillons courent les rues de Dakar à la recherche des quelques francs qui leur permettront de ne pas se faire cogner par leur tortionnaire en arrivant «à la maison»…
Attirés par cet argent facile, les marabouts malhonnêtes vont proliférer et «créer» ce qu’on appelle le marché de l’aumône.
Paradoxalement, leurs enfants pour la plupart apprennent également le Coran. mais ne mendient jamais. Ils vivent dans des villas loin du lieu d’implantation du daara, où se rend souvent le marabout le soir pour passer la nuit auprès de sa famille après avoir récupéré l’argent de l’aumône des talibés.
Le business talibe s’etablit
Que sert en réalité l’argent récolté par les marabouts ? Sachant que les talibés mendient leur nourriture quotidiennement et que les daaras sont pour la plupart installés dans des habitations de fortune, des maisons inachevées et que ces marabouts ne paient ni location ni électricité pour la plupart, alors à quoi servent les sommes exigées chaque jour par ces derniers ?
Les études menées sur le terrain sont choquantes et nous renseignent sur le degré et la profondeur de cette plaie béante que notre société essaie honteusement de cacher.
Les conditions de vie, de sommeil, d’hygiène et de nourriture fragilisent les talibés qui sont immanquablement victimes de la gale, du paludisme, du choléra voire même des Ist.
Surveillés par des marabouts réticents, les talibés ne profitent que très rarement des différentes campagnes de vaccination.
Plus l’enfant est sale et miséreux, plus il fait pitié et plus il a de chances de gagner de l’aumône au grand bénéfice du marabout.
Les marabouts ne laissent pas toujours les talibés se rendre dans les dispensaires, car ils pensent que les enfants simulent un mal pour ne pas aller mendier (ce qui induit une perte économique pour le marabout).
D’autres marabouts préfèrent soigner eux-mêmes les enfants par des pratiques mystiques peu efficaces.
Il arrive fréquemment que des enfants décèdent et soient alors enterrés clandestinement, dans l’indifférence générale.
Ces milliers de mineurs talibés ont, pour la plupart, une sexualité précoce :
Il n’est pas rare de rencontrer des enfants de huit ans qui ont déjà plusieurs partenaires, en général trois ou quatre, plus âgés qu’eux. Beaucoup d’enfants ont fait état d’une sexualité précoce, pas toujours consentante, à la fois homosexuelle et hétérosexuelle.
Les rapports sexuels sont rarement protégés et placent ces mineurs dans une situation de grande vulnérabilité par rapport aux infections sexuellement transmissibles (Ist), dont le Sida.
On évalue leur nombre à plus de 150 000 à travers le Sénégal. Ces enfants fournissent évidemment dès l’adolescence l’essentiel de la criminalité du pays. Comment en serait-il autrement quand arrivés à 15 ans, ils n’ont appris aucun métier, ne savent ni lire ni écrire (pas même l’arabe d’ailleurs...) et ont rompu les liens qui les unissaient à leur famille ?
Nous n’avons plus le droit de nous taire ni de fermer les yeux sur cette horreur et il est temps que l’Etat prenne ses responsabilités, pour faire appliquer la loi interdisant la mendicité.
Le phénomène des talibés est un véritable tabou au Sénégal. La population et l’Etat ferment les yeux devant une réalité catastrophique. Leur silence coupable, imprégné d’un poids religieux et culturel certain, les rend complices d’esclavage moderne.
L’Etat a bien interdit depuis 2005 l’exploitation des enfants à des fins de mendicité.
Cependant, cette loi, qui stipule que les coupables risquent trois ans de prison et trois millions de francs Cfa d’amende, n’a jamais été appliquée.
De nos jours, n’importe qui peut rassembler un groupe d’enfants et créer un daraa.
Un marabout qui demande à ses talibés entre 300 et 500 francs Cfa par jour, se retrouve avec le salaire d’un haut fonctionnaire du gouvernement à la fin du mois. C’est pourquoi il n’est pas facile de combattre ce fléau qui fait vivre beaucoup de personnes, sous le couvert du manteau religieux.
Face à cette situation et sachant que l’Etat semble être impuissant à appliquer la loi, il nous appartient d’agir. Il faut donc une solution radicale. Pas d’argent aux talibés ni de produits ou aliments tels que le sucre, le riz … qu’ils pourraient revendre ensuite. Si nous voulons vraiment aider ces pauvres innocents, il n’y a pas d’autre solution croyez-moi, même si celle-ci vous semblerait peut-être exagérée de ma part, mais il faut souvent combattre le feu par le feu.
Nous pensons les aider ou leur éviter les coups s’ils n’apportent pas la somme quotidienne, mais en agissant ainsi, nous encourageons plus le phénomène à perdurer. Nous enrichissons plus ces marabouts et rendons un mauvais service à ces enfants.
Dès lors, hormis ces mesures radicales proposées ci-dessus, les solutions ne manquent pas.
Le ministère de l’Education devrait recenser tous ces daaras et faire un tri sélectif qui permettra de les classifier en fonction de leurs compétences et aptitudes. Ensuite, ces marabouts doivent être nommés en fonction de critères pédagogiques de même que l’implantation des écoles coraniques, qui est actuellement sauvage et anarchique. Ceci permettra d’implanter des daaras modernes qui répondraient aux normes d’éducation et d’apprentissage du Coran. Ceci permettra au ministère de l’Education nationale de les indemniser au même titre que les professeurs d’écoles publiques et privés, sans parler de la participation symbolique des parents, également.
A ces daaras modernes doivent être inclus un système d’apprentissage d’un métier tel que la menuiserie, la maçonnerie, la couture… Ceci permettra à ces jeunes d’avoir un métier après leur instruction et pouvoir gagner convenablement leur vie.
Les solutions ne manquent pas, il faut juste une volonté d’action.
Thierno Ibrahima SANE - Réalisateur - Scénariste /
[email protected]
[ Opinion ] Le business talibé : Nous sommes tous coupables !
Par: Thierno Ibrahima SANE - Le Matin |
14 juillet, 2008 à 12:07:36
| Lu 16246 Fois |
2 Commentaires
Auteur: Thierno Ibrahima SANE - Le Matin
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1 Commentaires
Thiam Marème
En Juillet, 2012 (12:42 PM)Nous devons agir pour que cela cesse. Nous sommes au XXIème et il est intolérable et inadmissible de laisser passer des barbaries de ce genre. Ces soit disant marabouts ne sont rien d'autres que des voyous et des assassins.
Agissons car l'avenir de nos enfant et de la société qui est totalement compromis !!!
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