C’est un véritable pavé dans la mare que vient de jeter Ali Gamathié, le premier vice-gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao). Ancien ministre des Finances du Niger, ancien des institutions de Bretton-Woods, M. Gamathié est le candidat que soutient le Sénégal pour la succession de M Charles Konan Banny - qui exerce actuellement les fonction de Premier ministre de la Côte d’Ivoire - à fonctions de Premier ministre de la Côte d’Ivoire - à la tête de la Bceao.
Une candidature contre laquelle se sont ligués les autres Etats qui refusent l’Alternance, pour ne pas dire la rotation à la tête des différents organes de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine). Un signe qui ne trompe pas lorsqu’il a été appelé à exercer les responsabilités gouvernementales dans son pays M. Banny, qui se méfie comme la peste de M. Gamathié a préféré confier les rênes de l’institution monétaire au deuxième vice-gouverneur, le Burkina Damien Justin Barro. Lequel se considère toujours comme étant l’intérimaire de M. Banny et non comme le gouverneur par intérim de la Bceao.
Mais enfin, venons-en au lièvre par M. Gamathié. Dans une lettre adressée en date du 08 mai dernier au président du conseil des ministres de l’ Uemoa, M. Jean-Baptiste Compaoré, qui est le ministre burkinabé des Finances et du Budget, M. Gamathié dénonce des choses particulièrement graves dans la gestion de la Bceao. Il fait notamment état du maquillage des comptes de cette banque - ce qui est particulièrement grave s’agissant d’une institution censée être la gardienne de l’orthodoxie financière et monétaire dans les huit Etats membres - mais aussi dénonce le mécanisme de gestion des billets de banque qui ferait perdre 30 millions de francs à la Bceao chaque jour. S’agissant du premier point, contentons-nous de citer un seul exemple, en attendant de revenir dessus : les comptes de l’exercice 2005 vont faire apparaître un bénéfice de sept milliards de francs cfa alors que la situation réelle se caractérise par une perte de 20 milliards Cfa. Dans le même temps, le capital a baissé de 25 milliards cfa.
Mais le plus grand scandale dans le mécanisme de gestion des billets de banque qui fait perdre 30 millions de francs à la banque chaque jour, soit la rondelette somme de 12 milliards de francs par année. En fait, l’achat des billets constitue une véritable pompe à finances à finances pour la banque, un gouffre financier. Ainsi dans le budget 2005, une enveloppe de cinq milliards de francs avait été prévue pour cette rubrique. A l’arrivée, 27 milliards de francs, soit cinq fois le montant de l’enveloppe prévue a été utilisée. Le plus cocasse - ou révoltant c’est selon - c’est que pendant que la Bceao dépense une somme aussi faramineuse pour acheter des billets neufs en Europe, elle dispose dans ses caves de suffisamment de billets en bon état pour approvisionner correctement le marché. La masse monétaire en circulation dans l’espace Uemoa s’élève à 1900 milliards de nos francs, alors que des billets pour une valeur de 2000 milliards de nos francs dorment dans les caves des différentes agences de la Bceao où ils sont stockés faute de tri. Le problème réside dans le fait que ces billets ne sont pas triés, et ne peuvent donc pas être mis à la disposition des banques. Pour effectuer le tri entre les différentes séries - pour le Sénégal, ce sont les billets avec la clef K sont valable - il faut des machines spéciales. Il est possible de pallier leur absence en procédant à un tri manuel effectué par des femmes recrutées pour cette tache. Le coût de leur intervention est de 300 millions cfa par année. Si le tri n’est pas effectué, impossible d’utiliser les billets puisque des séries destinées à la Côte d’Ivoire risquent de se retrouver au Sénégal, tandis que des billets avec la lettre K circuleront au Burkina etc. Bref, un grand désordre. Plutôt que de recruter des femmes trieuses - ou d’acheter des machines - les responsables de la banque préférent acheter à grand frais des billets neufs. Et pourtant, en juin 2000, un programme d’investissement de 7.6 milliards de francs sur trois ans avait été approuvé par la Banque. Cet argent était destiné à acheter des machines de tri. Un programme qui a été un échec bien que l’argent ait été dépensé, estime Ali Gamathié. Depuis qu’il a adressé la lettre de 08 mai dernier au président du Conseil des ministres, ce dernier n’a même pas accusé réception. Au contraire ce sont des menaces à peine voilées que M. Gamathié, qui craint sérieusement pour sa vie, a reçues au niveau de la banque. Quoiqu’il en soit, face à des révélations aussi fracassantes, il est temps pour les chefs d’Etat membres de la Bceao de sortir enfin de leur torpeur. C’est bien le moins qu’on puisse attendre d’eux.
Article de "Le Témoin"
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