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IDRISSA DIOP, 40 ANS DE SCÈNE : « Je ne fais pas une musique de mode »

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IDRISSA DIOP, 40 ANS DE SCÈNE : « Je ne fais pas une musique de mode »

Il fait aujourd’hui figure d’ancien dans le milieu de la musique sénégalaise. Après 40 ans de scène musicale, Idrissa Diop, rentré au pays, célèbre dans la bonne humeur ce long bail signé sur les scènes du Sénégal et du monde. Idrissa est attiré dès le bas âge par la musique et, surtout, les percussions. Il a fait ses classes au Sénégal et à travers le monde, au contact de prestigieuses vedettes de la musique internationale. Cet artiste natif de Malika a découvert un penchant naturel pour une musique métissée. Cette « musique fusion », comme il l’appelle, est inspirée des sources traditionnelles à l’échelle de la riche diversité sénégalaise, mais aussi d’une foultitude de musiques et de rythmes modernes, latino-américain, jazz, funk ... Idrissa Diop se dit « passeur de lingué pour les jeunes musiciens », une sorte de mentor, ce qui ne veut pas dire qu’il raccroche. Pour conforter cette idée, il veut lancer une Fondation Idrissa Diop Résidence musicale entre les quartiers populaires de Gueule Tapée, Fass et Médina, un lieu de rencontre et d’apprentissage de la musique. Il nous en dit un peu plus à travers cet entretien.

40 ans de musique sur la scène nationale et internationale, on est en droit d’affirmer qu’Idrissa Diop est un grand artiste ?

Je ne suis pas grand, je suis un humble artiste musicien sénégalais et fier de l’être. J’ai vécu beaucoup de choses et je suis conscient que le Sénégal, mon pays, m’a donné l’occasion d’être ce que je suis devenu, un artiste qui a fait des scènes du monde, beaucoup d’expérience en même temps et, peut-être, une certaine notoriété. J’en rends grâce à Dieu.

Vous avez choisi de fêter vos quarante ans de musique, qu’est-ce que cet événement représente pour vous ?

Cela fait quarante ans que je joue de la musique en tant que professionnel, mais j’ai commencé la musique plus jeune, à l’âge de 16, 17 ans, ici à Dakar, avec des groupes entre copains. A l’époque, on n’avait même pas conscience que l’on pouvait gagner de l’argent en faisant de la musique, on était môme et très insouciant. Et nous voilà ici aujourd’hui. Quand on voit le cheminement que nous avons fait, avec mes potes de l’époque, je suis tenté de dire que cela a été une destinée magnifique. On a essayé de faire le maximum et, aujourd’hui, on est fier de faire partie de ce Sénégal que nous aimons tant.

A tes débuts, tu as joué avec les musiciens de la famille Sing Sing qui est célèbre dans le jeu des percussions sénégalaises. Cela a-t-il influencé ta musique ?

Vous parlez de la famille du Vieux Sing Faye. Son fils Mbaye Dièye Faye m’avait été confié, il avait à peine 8 à 9 ans. Il nous suivait partout, c’est comme Youssou Ndour et tant d’autres, ils nous suivaient et essayaient de capter notre énergie. C’est magnifique de voir aujourd’hui là où ils ont amené la musique sénégalaise. A l’époque, c’était le Sénégal des années 70. On épaulait ces jeunes, on leur montrait ce qu’on croyait être bon pour nous. Nous jouions dans des clubs comme le Miami de Ibra Kasset (dont je salue la mémoire et à qui je rends hommage), le balafon, le Calypso, bref beaucoup de clubs et on n’avait pas conscience de ce qui se déroulait ; nous avons aidé pas mal de jeunes musiciens à grandir et moi en tout cas je suis très fier de tout cela.

Lorsque la télévision nationale a commencé à diffuser ses émissions, c’était la télé en noir et blanc, nous étions le premier groupe à jouer sur ce plateau avec le grand orchestre du Sahel avec les Mbaye Fall, Cheikh Tidjane Tall, Seydina Wade, Pape Djiby Bâ, Djigui Diabaté, Willy Sakho et d’autres. C’était génial, on était un peu tête en l’air, on faisait de la musique, certes, pour égayer les consciences, mais en tous cas pas pour l’argent.

A quel moment as-tu senti la musique que tu voulais faire ? Il semble que tu n’étais pas tellement adepte du rythme « mbalakh » ?

Pour moi l’émotion n’a pas besoin de dictionnaire et la musique est révolutionnaire pare essence ; regardez toutes les ethnies que nous avons au Sénégal et la richesse des sonorités : les mbilim sérère, le yéla des toucouleurs du boundou, le sawrouba et les bougarabou de Casamance, etc. Cela fait plus de quarante ans que je dis qu’il n’y a pas une musique sénégalaise, il y a des musiques sénégalaises. Aujourd’hui, je pense que l’on me rejoint dans cela. Quand vous allez en Casamance, les habitants ne se sentent pas tellement concernés par le mbalakh, ils ont leur musique qui est une autre force pour eux. Le mbalakh concerne surtout une partie des Sénégalais, mais pas tous, même si l’on apprend justement à connaître les rythmes des uns et des autres.

Avant d’aller en Europe, j’ai été assez marqué par les universitaires. Je jouais souvent gratuitement avec le groupe acoustique Tabala. Il y avait moi, Seydina Wade et Oumar Sow . A l’époque, quand je faisais des concerts à l’université, les policiers venaient me chercher chez moi le lendemain. Ma mère était furieuse contre moi parce qu’on m’amenait souvent en prison à cause de mes chansons qui dérangeait « l’injustice de la justice », « tchatgui » (dénonçant le détournement des deniers publics et l’enrichissement illicite). Nous étions un peu des sortes de rebelles, mais profondément Sénégalais et je suis toujours rebelle, mais profondément Sénégalais.

Comment définis-tu ton style musical ?

C’est une musique de fusion. Toutes ces ethnies du Sénégal, que ce soient les Diolas du sud, les Ndiouck Sérères, les Toucouleurs du Boundou au Sénégal oriental, toutes ces populations m’ont interpellé musicalement à travers leurs sonorités. C’est pourquoi je définis ma musique comme un mélange entre la base traditionnelle de chez moi et les influences venues de l’extérieur. Même « Fly On » (inspiré par le morceau « Pith Mi », l’oiseau en langue wolof) dont on parle, si l’on tend bien l’oreille, on y retrouve une sonorité de xalam (petite guitare traditionnelle). Ma musique est un ensemble de mélodies pentatoniques bien de chez nous. Il faut savoir tendre l’oreille pour déceler cela.

C’est une musique métissée et cosmopolite. Un jour, je discutais avec Carlos Santana qui me dit toi et moi nous faisons la même musique, sauf que toi tu es en France ou au Sénégal, alors que moi je vis aux Etats-Unis. C’est la même musique et c’est une composition de vision. On mélange diverses musiques latines, on y met un peu de funk, du jazz, on y adjoint des airs européens. C’est ce qui donne aujourd’hui cette force de pouvoir de la musique internationale, si je peux m’exprimer ainsi.

Est-ce qu’il y a des gens qui ont influencé ta carrière d’artiste ?

Bien sur, il y a trois personnalités qui m’ont beaucoup marqué. Les deux sont décédés et le troisième est Samba Diabaré Samb ; je communique toujours avec lui. C’est lui qui m’a inspiré la fameuse chanson que j’ai écrite pour Youssou Ndour, il y’a presque quarante ans, intitulée « Yaral Sa Dom » (éduque ton enfant). C’est pour vous dire que la musique est révolutionnaire par essence. On mélange des sons pour aller vers ce qui nous ont laissé nos ancêtres. Mes repères, dans ma musique, ce sont ces gens-là. Je mélange les sons européens, les mélodies américaines avec notre gamme locale. Il ne faut pas oublier que si l’on fait une musique entre nous Sénégalais, comme le mbalakh, il n’y aura que nos compatriotes qui l’écouteront, ce qui écarte d’emblée les autres peuples. J’ai eu la faculté de mélanger nos mélodies à celles qui interpellent le Chinois, l’Américain, le Français. En concert, le public métissé ne se sent pas perdu.

Quand on regarde la carrière d’Idrissa Diop, on a l’impression qu’il y a eu une rupture avec le pays ?

Non, il n’y a jamais eu de rupture entre moi-même et mon pays, parce que j’ai toujours porté ce pays dans mon cœur et mon esprit. Aujourd’hui, je viens de fêter mes quarante années de musique au théâtre national Daniel Sorano où tous mes amis se sont retrouvés avec notamment les jeunes. Malgré les apparences, je venais en vacances au pays, encore une fois je n’ai jamais quitté le Sénégal.

Tes albums on les connaît très peu au pays, il semble qu’ils aient eu plus de fortune en Europe ?

J’ai sorti plusieurs albums, il y Historia qui a eu récemment une bonne promotion ; mais avant celui-là, il y a eu d’autres comme « Expérience », « Conscience Collective », « Rebellz », « Yakaar »...Pour la notoriété de mes albums, je dois dire que je n’ai pas la même démarche que certains musiciens. J’ai toujours eu mes maisons de disques en Europe. Moi, je préfère faire une musique que l’on peut écouter. Je préfère être applaudi par deux personnes qui ont compris mon message que dix mille qui n’ont rien saisi. Je trouve aujourd’hui que les gens n’écoutent même plus les paroles, on ne fait que danser. Il faut que l’on comprenne que nous sommes, certes, des marchands de rêves, mais également des messagers. Je n’ai pas de regret sur cela. Je préfère travailler sur une musique pérenne que sur des compositions qui vont être à la mode et qui seront rapidement consommées puis jetées aux oubliettes. Je préfère passer quatre années ou même cinq avant de faire un album. J’accorde beaucoup d’importance au contenu, à la musicalité et aux textes. Un musicien doit avoir énormément de peines pour faire un album, c’est comme un accouchement dans la douleur.

Comment cela marche-t-il pour tes albums en Europe ?

Dans le monde, on en a vendu beaucoup, mais les Sénégalais ne le savent pas. « Rebelle », par exemple, a bien marché. « Yakar », l’album qui m’a fait connecter avec Carlos Santana en 2000 a bien marché, idem pour la production « Expérience ». Celui qui a valu beaucoup de satisfaction, c’est « Historia », avec la participation de Carlos Santana et Narada Michael Welden, le producteur de Whitney Houston et de Maria Carey. « Historia » a cartonné aux Usa, en France et cela a relativement bien marché au Sénégal. Les gens me demandent de faire une réédition pour les personnes qui n’ont pas eu l’occasion de l’écouter.

Après l’Europe, maintenant le Sénégal. Quel bilan tires-tu de tes quarante années de musique ?

Il m’arrive, dès fois, de me pincer pour voir si c’est vraiment moi. J’ai eu durant toutes ces années à partager beaucoup de choses avec beaucoup de gens. Je garde de bons souvenirs avec Youssou Ndour, Habib Faye, Mbaye Dièye Faye, Ismaël Lo, Thione Seck, Coumba Gawlo, les musiciens du Baobab. J’ai partagé des émotions avec Soleya Mama, le député Ousmane Sow Huchard avec qui j’ai fait des scènes.

J’ai eu à vivre beaucoup de choses avant de partir en Europe. A l’extérieur, des personnes comme Manu Dibango, mon frère Yannick Noah, Quincy Jones, Stevie Wonder, Sting et bien d’autres ont partagé des moments artistiques et de bons souvenirs avec moi. C’est cette force que m’a donnée le Sénégal. Ce pays qui m’a vu naître et qui m’a dit d’aller transmettre aux autres. Après tout ce que j’ai vécu comme expérience avec tellement de gens d’ici et d’ailleurs, je suis fier de revenir me réinstaller dans mon pays.

Des artistes sénégalais ont évoqué le problème des inondations qui ont touché surtout la banlieue. Que t’inspire cette catastrophe naturelle ?

Je dirai tout simplement que Dieu est grand. Dans ce pays, il ne pleuvait pas du tout à une certaine période et les gens se demandaient quand est-ce qu’il allait pleuvoir. Cette année, on nous dit qu’il n’a jamais autant plu, mais il faut remercier le ciel. Je me suis déplacé à l’intérieur du pays, il y a de la verdure partout. Pour les inondations, il y a des zones comme jadis « Wakhinane » où on avait interdit de construire des habitations, car il s’agissait de zones inondables. Les gens ne doivent pas construire dans les zones inondables. Elles doivent quitter ces endroits et l’Etat devrait les aider à trouver d’autres endroits. Cela me fait très mal de voir ces gens obligés d’habiter dans l’eau faute d’avoir où aller avec les enfants, c’est une désolation.

Ton retour au Sénégal marque une nouvelle étape pour toi. Quels sont tes projets ?

Je ne suis jamais parti du Sénégal. J’ai beaucoup voyagé, mais je suis là pour m’installer avec ma famille. J’ai mon groupe « Identity Band », composé de jeunes musiciens sénégalais très talentueux qui ont beaucoup écouté ma musique quand j’étais à l’extérieur. Ils connaissent toute ma musique, de « Beuré Bouki ak Mbam » à « Historia ».

On projette une tournée avec le Centre culturel français dans toutes les régions de l’intérieur. On ira à Saint-Louis, en Casamance, à Diourbel, Louga... Cela nous permettra de présenter une autre identité culturelle du Sénégal afin que les gens découvrent ma musique de fusion qui tire son originalité des nombreuses cultures que possède notre pays. Ce sera également une symbiose entre le ballet avec des artistes de la scène et de nombreuses autres choses que les gens ont découvertes lors du spectacle de Sorano, lors de mes quarante ans.

En ce qui concerne la production, je ne pense pas encore à cela honnêtement. Le plus important sera surtout ma « Fondation Idrissa Diop Résidence Musicale » que je compte monter entre la Gueule tapée, Fass et la Médina, ces quartiers très populaires qui m’ont vu grandir. Aussi l’idée sera d’ouvrir une école musicale dans un quartier très populaire de Dakar. Cela permettra aux jeunes, le soir, de se retrouver dans ce lieu et de s’épanouir dans les salles multimédia et beaucoup d’autres choses qui y seront prévues. L’essentiel, c’est de venir en aide à cette jeunesse.

Idrissa Diop se sent toujours jeune après toutes ces années ?

Moi, je suis « anti-âge », c’est ainsi que je suis connecté avec les jeunes ; je m’entends bien avec eux. J’ai une certaine vision, je veux plus tard pouvoir passer le témoin à cette tranche de la population, avec eux je me sens comme un « passeur de lingué » (bâton témoin).

Si aujourd’hui on ne passe pas le témoin aux jeunes, personne ne le fera. On ne peut pas voir Idrissa Diop sans sa casquette ou son chapeau ?

Si bien sûr, mais c’est un look qui me permet de me protéger contre toutes ces choses qui pourraient me tomber sur la tête (éclats de rires).


Propos recueillis par Jean PIRES et Amadou Maguette NDAW



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