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Mots croisés avec Abass NDIONE, écrivain : ‘ Senghor nous a fatigués avec sa négritude… ’

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Mots croisés avec Abass NDIONE, écrivain : ‘ Senghor nous a fatigués avec sa négritude… ’

Le film Ramata du Congolais Léandre Alain Baker, adapté du deuxième roman d’Abass Ndione fait partie de la sélection officielle de la 21e édition du Fespaco, prévue du 28 février au 7 mars dans la capitale burkinabé. L’auteur est aussi le scénariste du film s’attend à un vif succès. Invité vendredi dernier à la librairie Clairafrique de l’Ucad, Abass Ndione est revenu largement sur son dernier roman Mbëkë mi qui traite de l’émigration clandestine.

WalFadjri : Le film Ramata, adapté de votre roman éponyme, fait partie de la sélection officielle du prochain fespaco, qu’est-ce que cela vous fait ?

Abass NDIONE : Je suis sûr qu’on obtiendra cette année l’Etalon d’or de Yennenga car j’ai fait quelque chose d’extraordinaire. Le roman a été bien fait et j’ai écrit en plus un bon scénario. Je n’ai pas encore vu le produit fini, mais je suis sûr que c’est un très bon film. Le réalisateur m’a avoué que c’était facile pour lui de tourner le film d’après le scénario. Je pense que ça ira. Il faut nous souhaiter simplement une bonne chance. Et pour une fois, le Sénégal va remporter l’Etalon d’or de Yennenga (la récompense suprême du Fespaco, Ndlr)

WalFadjri : Ce n’est pas un film sénégalais mais plutôt un film de la République démocratique du Congo ?

Abass NDIONE : Le réalisateur, Léandre Alain Baker, est congolais certes, mais le producteur (Médiatik Communication, Ndlr), celui à qui appartient le film est un Sénégalais : C’est l’Unité africaine par excellence car le scénario du film est de moi, l’actrice principale Katoucha Niane est guinéenne. Et le film a été tourné ici au Sénégal entre Dakar et Gorée en décembre 2007. C’est donc l’Afrique qui gagne car, il regroupe plusieurs nationalités.

WalFadjri : Vous vous attendiez à ce que ce roman soit adapté à l’écran ?

Abass NDIONE : Oui je m’y attendais. Car, on l’a dit pour toutes mes œuvres. Mon premier roman, La vie en spirale, devait être aussi adapté à l’écran ; les choses n’ont pas abouti. Des cinéastes ont voulu se lancer là-dessus, mais ils ont lâché au dernier moment. Certains avaient déjà pris une option chez Gallimard, mon éditeur et avaient même décidé de tourner l’histoire à Bamako, je ne sais pas pourquoi cela n’a pas eu lieu. Et pourtant le scénario a été écrit plus de trois fois. Récemment, un jeune réalisateur sénégalais est venu me voir pour que La vie en Spirale sorte au cinéma. Pour le moment, c’est Ramata qui est à l’écran. S’il n’y a pas de réalisateur candidat pour tourner La vie en spirale, moi je m’engagerai à le tourner.

WalFadjri : Le style cinématographique, est-ce un choix d’écriture de votre part ?

Abass NDIONE : Quand j’écris, j’écris dans le but d’en faire un roman, pas un film. Après, si un réalisateur voit que l’histoire que je raconte peut être filmé, tant mieux ; je n’y vois aucun inconvénient. Mais en écrivant, je ne cherche pas à l’adapter à l’écran. Les gens disent que j’ai un style cinématographique et que mes romans n’ont pas besoin de scénario, en les lisant on voit déjà les images.

WalFadjri : Y a-t-il des auteurs qui vous ont influencé dans votre style d’écriture ?

Abass NDIONE : Je ne suis pas influençable. J’écris dans ma tête. Je suis un écrivain contemporain. Ce qui m’intéresse, c’est le Sénégal d’aujourd’hui, les difficultés que l’on vit. C’est la réalité qui m’attire dans l’écriture. J’écris la nuit, avec un stylo tant qu’il n’est pas terminé je ne le change, sinon les idées restent bloquées.

WalFadjri : Votre dernier ouvrage, Mbëkë mi, est classé comme un livre d’enquête plutôt qu’un véritable roman, partagez-vous ce jugement ?

Abass NDIONE : C’est l’éditeur, Gallimard, qui le classe dans la catégorie roman. Moi j’ai fait un texte sur l’émigration clandestine. C’est un roman, une œuvre imaginaire s’appuyant sur des faits réels. Vous savez, on peut dire que c’est aussi de l’actualité car on vit le phénomène tous les jours. Sur la plage de Camberène, les médias ont relayé tout récemment l’information des filles rejetées par l’océan. On a appris qu’elles faisaient partie d’un convoi pour les Iles Canaries. On a voulu les mettre dans une pirogue et ça n’a pas marché et cela c’est terminé par un naufrage. Le livre Mbëkë mi part de l’histoire racontée par trois jeunes qui ont pris les pirogues. Tous les trois ont raconté la même chose : a savoir que pendant les dix jours de navigation, tout allait bien. Chacun d’eux devenait fou en apercevant les lumières des Iles Canaries. Ils commencèrent à révéler leurs projets : ‘La fille qui me faisait tourner ; j’achèterai la marque de la voiture du voisin, etc.’ Le lendemain, une tempête de trente minutes a détruit toutes leurs espérances, ils n’avaient que leur vêtement sur le dos pendant quatre à cinq jours avant d’être sauvés par des chalutiers. Tous les personnages du roman sont des gens qui existent dans la réalité : l’imam, le jeune étudiant, le paysan, etc.

WalFadjri : Comment vous est venue l’idée de faire un roman sur l’émigration clandestine ?

Abass NDIONE : C’est par rapport au milieu où je vis à Bargny et Rufisque. La pirogue, la mer font partie de mon propre milieu. C’est mon univers. J’ai connu des amis dont les fils étaient dans les pirogues ; un d’eux n’est jamais revenu, il a laissé deux femmes et deux enfants. C’est leur histoire même qui m’a interpellé. C’est comme si le phénomène de l’émigration clandestine me disait qu’il faut tout faire pour témoigner, apporter un regard, parler de ce problème. Je me suis alors intéressé au problème dès janvier 2006, trois mois après les médias ont commencé à diffuser les premières images. C’est vraiment pour cela que j’ai écrit ce roman. Au-delà, ce sont mes enfants et mes petits-enfants qui partent. Les gosses prennent les pirogues, espérant trouver l’eldorado. J’ai voulu alors savoir qu’est-ce qui fait partir ces jeunes enfants. Des hommes et des filles, des pères de famille et des femmes mariées ont tous pris le large. La mer ne fait pas peur à un pêcheur lébou. Pour les parents,c’est la fatalité, tout repose sur la volonté divine.

WalFadjri : Le titre Mbëkë mi traduit-il réellement ‘partir sur un coup de tête’, comme inscrit en couverture du livre ?

Abass NDIONE : Le coup de tête dont on parle ici, c’est celui que l’on donne à l’adversaire lors d’une bagarre. ‘Partir sur un coup de tête’ est le choix de l’éditeur. Le coup de tête, c’est la proue de la pirogue que l’on appelle la tête quand elle est soulevée par les vagues. La tête regarde le ciel, elle retombe ensuite sur la surface de la mer. Et le bruit qu’il fait lors de cette descente, pousse les gens à dire que la pirogue donne un coup de tête à l’océan. Mbëkë mi, c’est la lutte du candidat au voyage pour vaincre la mer et arriver à destination. Ce n’est pas ‘partir sans réflexion’, comme on l’explique sur la couverture du roman. Non, c’est un projet mûrement réfléchit pour fuir les problèmes de ce pays et trouver mieux ailleurs.

WalFadjri : Vous imputez toutes les difficultés des jeunes aux trois présidents du Sénégal, qui, dites-vous, n’ont rien fait pour ce pays…

Abass NDIONE : Au moment des indépendances, en 1960, nous étions au même niveau de développement que la Corée du Sud. Quarante ans après, on se retrouve avec un sous-développement accentué, la Corée est devenue un pays plus qu’émergent. Nous avons un retard de soixante-dix ans. Les vrais responsables de ce retard devant lequel nous nous trouvons sont ceux qui étaient à la tête de ce pays et les dirigeants actuels. Senghor nous a fatigués avec sa négritude, ensuite il y a eu Abdou Diouf et aujourd’hui Abdoulaye Wade. Quand on aura à faire le bilan, il faudra que l’on parle de ces gens-là, car ils ont leurs parts de responsabilité. Il faut que les gouvernements africains, le Sénégal en premier, fassent en sorte que les jeunes ne quittent pas leur pays. Il faut des politiques beaucoup plus hardies pour fixer les jeunes. Des projets beaucoup plus sérieux que 15 mille emplois pour les jeunes de la banlieue ou le plan Reva. Il appartient aux politiques de donner aux jeunes le courage de rester. Ils sont tous déçus par l’alternance. Je ne dirais pas que j’approuve l’émigration clandestine, mais, je comprends parfaitement qu’ils veuillent aller ailleurs.

WalFadjri : A l’origine, Mbëkë mi devait être un chapitre de votre roman intitulé Développement durable que vous écrivez depuis trois ans, Pourquoi avoir changé d’option ?

Abass NDIONE : Mbëkë mi ne devait pas paraître sous forme de livre, vous avez parfaitement raison. En novembre 2006, j’ai reçu un coup de fil du réalisateur Moussa Touré qui me dit qu’un cinéaste voulait que je lui fasse le scénario d’un film sur l’émigration clandestine. J’ai accepté après discussion et sans difficulté, j’ai écrit en un mois le scénario. C’est là qu’est parti le besoin de publier un livre sur ce phénomène. L’émigration clandestine devait être un chapitre du roman Développement durable que j’écris depuis trois ans. Cela peut-être un prolongement de La vie en spirale qui a une fin ouverte.



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