Entretien réalisé par Mandiaye THIOBANE |
Après plusieurs missions en tant que chargé de programmes à la NASA, le Malien Cheick Modibo Diarra s’était par la suite reconverti en cultivateur après son retour au bercail. En qualité de président Microsoft Afrique, il s’est à présent fixé un nouveau défi : réduire la fracture numérique du continent. En Africain passionné. |
Monsieur le Président, après le programme Mars, quelles ont été vos nouvelles orientations ? Vous savez, Alors, une des premières missions de cet administrateur, c’était Pathfinder. Parce qu’en 1976, nous avons atterri sur la planète mars avec « Viking » au coup de 3,6 milliards de dollars. Vingt ans après, nous avons atterri sur la même planète avec une machine dix fois plus sophistiquée qui est Pathfinder pour moins d’un vingtième le coût. Donc, on a prouvé qu’on pouvait faire de belles choses, moins chères et plus rapides. Le développement de Pathfinder, son lancement, sa navigation jusqu’à son arrivée, nous avaient pris trois ans et demi au lieu de sept à huit ans. Donc, je suis arrivé à cette période-là. Or, normalement, dans la carrière d’un navigateur inter planétaire à Apparemment vous refusez la routine ? Après avoir fait tout cela et ayant constaté que l’exploration de Mars allait encore continuer, c’est vrai que la routine commencait à peser. C’est à ce moment que l’opportunité pour créer une Université virtuelle africaine (UVA) s’est présentée à moi, avec Qu’est-ce que vous cultiviez pendant ces deux ans ? Quand je suis arrivé, je crois que j’avais mis trois hectares de maïs, deux ha de mil, un ha de riz et neuf cent pieds d’orangers dans le sol. Une manière pour moi d’expérimenter la culture des agrumes qui se fait beaucoup chez moi et de voir ce qui l’empêche de progresser. J’avais utilisé deux variétés de maïs et une variété de mil pour le bétail qui, avec vingt cinq kg de semences achetées à Dakar à l’hectare, pouvait permettre de produire douze tonnes. Et les récoltes, étaient-elles au rendez-vous ? Justement, tout a foiré. Je n'ai récolté que du maïs qui, avec les épis et tout, pouvait tenir dans deux sacs de cent kg. Tout a échoué et par la même occasion, j’ai compris parfaitement pourquoi ça ne marche pas. Cette année-là, les choses ont échoué parce que simplement la saison des pluies s’est arrêtée trop tôt, juste au moment où tout avait poussé, où j’avais fini de sarcler le tout. C’est à un moment où tout était en bonne voie pour donner une production extraordinaire que la pluie s’est arrêtée. Le riz s’est asséché avant même d’arriver en maturité. Pourquoi n’aviez-vous pas utilisé les techniques modernes d’agriculture comme l’irrigation, vu les moyens à votre disposition ? C’était une option délibérée pour travailler dans les mêmes conditions que le cultivateur lambda et de comprendre pourquoi ils font face à des déficits de production. J’ai appris très rapidement que la gestion de l’eau est le problème numéro un. C’est-à-dire que nous dépendons trop de tout ce qui est naturel et aujourd’hui, avec les phénomènes comme « El niño », nous savons que presque de cycle en cycle, des endroits qui sont presque des déserts deviennent inondés et vice versa. S’agit-il donc d’une loterie agricole comme le pense le Dg de C’est exactement cela et moi, j’irai même plus loin pour dire que nous jouons à la roulette russe parce que c’est une question de vie ou de mort, car il s’agit de notre nourriture. Alors, ça c’est la première leçon que j’ai apprise. Et, en parlant avec nos voisins, j’ai appris une deuxième leçon qui est qu’avec la façon dont nous travaillons en générale dans cette sous-région, dans le domaine de l’agriculture, tout le monde est producteur. Alors qu’en réalité dans les autres parties du monde, il y a un groupe de cultivateurs qui se spécialise dans la production des semences à haut rendement et de haute qualité et qui vendent maintenant aux producteurs à grande échelle. Donc, après avoir appris ces deux leçons, je m’apprêtais cette année, avec les paysans autour de moi, à trouver des solutions parce que j’ai creusé un forage dans mon champ qui me donne Et finalement, arriva le contact avec M. Bill Gate … C’est cela. Le contact avec M. Bill Gates est quelque chose de très paradoxal. Un jour, je suis revenu de mon champ fatigué et je commençais à dormir. Et à neuf heures du matin, pour une fois que je n’étais pas debout, mon téléphone sonne. Je le prends à regret et c’est quelqu’un qui est en Afrique du Sud et que je connais qui est au bout du fil. Le monsieur me dit : «écoute Cheick, y a des amis à moi qui ont une compagnie de chasseurs de « têtes » qui ont été approchés par Bill Gates qui a besoin d’un président de Microsoft pour l’Afrique ». Toujours, selon ce monsieur au téléphone, ces gens font beaucoup pour l’Afrique surtout pour réduire la fracture numérique. Et la question est venue toute seule : « est-ce que tu peux les aider à trouver quelqu’un ?». Parce que, dit-il, ce sont des gens qui se disent que c’est un boulot qui n’intéresserait pas Cheick Diarra vu son background. Je lui ai alors demandé de m’envoyer ce dont ils avaient besoin comme profil. Après avoir regardé tous les éléments de ce profil, je leur envoie des noms qui répondaient pratiquement à tous les critères, sauf un ou deux. Parce que quand on représente une société comme Microsoft, il y a forcément une question de crédibilité qui se pose. Or, tout le monde connait mon engagement pour l’Afrique et c’est de cette crédibilité qu’ils avaient besoin. Ils en sont arrivés à me dire : « Cheick, c’est de toi qu’on a besoin pour expliquer aux gens ce que nous voulons faire qui n’a rien de commercial et dont le plan a été déjà ficelé et son application suit son cours ». C’était tentant. Mais peut-on avoir une idée de ce plan que vous voulez mettre en œuvre pour l’Afrique ? Justement, ce plan est en train d’être écrit. Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai demandé à tous les gens de Microsoft qui se trouvent sur le terrain, dans tous les pays africains, parce que moi je fonctionne « botom up not top- down », d’aller voir les hommes d’affaires, les gouvernants, les professeurs et étudiants dans les écoles et universités, la société civile, les organisations de femmes et de jeunes, pour leur poser la question suivante : « quels sont aujourd’hui les trois problèmes fondamentaux qui vous empêchent d’atteindre votre plein potentiel ? ». Et, surtout, qu’ils ne leur demandent pas les problèmes que la technologie peut résoudre. Qu’ils leur demandent juste le ou les problèmes. Parce que nous qui sommes des ingénieurs, nous savons des fois comment trouver une solution avec la technologie, alors que quelqu’un qui n’est pas familier avec ces outils va mettre à côté un de ses problèmes prioritaires en pensant que la technologie ne peut rien faire. Donc, ces gens avaient un délai de deux mois pour venir me voir en ce début mai avec toutes les réponses. Nous allons procéder à une sorte de brainstorming dans mon bureau. Moi, j’ai des critères bien précis et qui sont simples. Comme il me faut un plan pour l’Afrique, il faut donc que les problèmes soient panafricains en nature, c’est-à-dire des problèmes communs à tous les pays, même si au départ je ne commence pas avec tous les pays. Pas parce que je n’ai pas les moyens, mais parce que je veux apprendre déjà la leçon. Je dis donc que l’on va trouver le fil conducteur, c’est-à-dire le problème commun à tous les pays et qui est vraiment primordial. Deuxièmement, on va essayer d’identifier un petit groupe de pays où les responsables sont prêts à travailler avec nous car, en tant que manager de projet, j’ai appris à Mais, si on vous comprend bien, ce boulot vous l’avez accepté après le premier coup de téléphone avec les chasseurs de « têtes » engagés par Bill Gate… Non, avant d’accepter le boulot, je suis allé moi-même jusqu’à Redmond et je me suis assis pendant une heure vingt minutes avec Bill Gates. Est-ce que vous connaissiez M. Bill Gates à l’avance ? Je l’avais rencontré une ou deux fois au Forum de Davos. A l’époque, comme j’avais une tête qui fonctionnait très rapidement, chaque année on m’invitait pour faire des communications et dans ce contexte, on se croisait dans les couloirs et j’assistais à ses présentations. Au-delà de cela, on ne se connaissait pas. Donc, je l’ai trouvé dans les quartiers généraux de Microsoft, à Redmond, dans la ville de Seattle, et dans l’Etat de Washington. C’est un petit village. Dans ses bureaux, et chose très rare, on s’est assis pendant une heure vingt minutes et je dois vous dire que, par moments, j’étais presque gêné de voir que sa passion pour l’Afrique était supérieure ou égale à la mienne. Suffisant pour me convaincre de prendre ce boulot, d’autant plus que je me dis qu’il va y avoir deux avantages avec moi : d’abord, il n’y a aucun doute sur ma passion pour le continent. Ensuite, à ce niveau de ma carrière où je n’ai plus rien à prouver, je n’ai aucun problème à aller poser des questions aux gens au lieu d’essayer de réinventer la roue et deuxièmement, les gens avec lesquels je vais travailler, à cause de ma réputation, seront beaucoup plus motivés pour réaliser des choses. Vous êtes arrivé à un moment où Microsoft lance ses opérations de localisation de son logiciel Office et particulièrement en wolof, qu’est-ce que cela représente pour l’Africain que vous êtes ? Pour moi, cela représente un aspect du problème de l’accès. Aujourd’hui, on n’a plus besoin en Afrique que les gens viennent essayer de nous convaincre de ce que les technologies sont capables de faire pour nous. Nous sommes tous d’accords là-dessus. Là où se situe le problème, c’est comment nous pouvons y accéder, sachant que nous avons des ressources limitées. Et, quand vous regardez de près le problème de l’accès, il comporte plusieurs facettes. Il y a d’abord la question de l’abordabilité en termes de prix et je suis en train de travailler sur cela. Je viens du Nigeria après l’Afrique Sud et |
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