Port-au-Prince s’enfonce encore davantage dans la crise politique. Cela fait plus de deux mois que le pays ne dispose que d’un gouvernement démissionnaire. Le processus de ratification de la politique générale du nouveau Premier ministre est toujours au point mort. En cause, la reconduction de certains ministres contestés. L’opposition se montre prête à tout pour empêcher les débats : ce jeudi 30 mai, quatre sénateurs ont saccagé la salle de séance.
Avec notre correspondante à Port-au-Prince, Amélie Baron
Sous une pluie fine mais persistante, un amas de chaises et de bureaux cassés. Mêlés à ce tout, les câbles et micros du système de sonorisation. Devant cette scène surréaliste dans la cour du parlement, les quatre sénateurs de l’opposition assument totalement leur saccage de la salle de séance.
Parmi eux, Antonio Cheramy justifie leur action avec énergie. « On les a mis dehors pour dire qu’il ne devait pas y avoir de séance. On a toujours dit que le président n’avait qu’une façon pour faire approuver ses ministres : en respectant la loi. S’il rentre dans le cadre de la loi, on sera doux comme des moutons. Mais ils utilisent des arguments disant qu’il y avait eu des précédents, mais ces précédents n’ont pas force de loi. J’aimerais que mes collègues s’inscrivent dans cette démarche d’écrire au président d’envoyer un gouvernement qui réponde aux besoins du peuple haïtien. Et pas des ministres d’amis, qu’on renouvelle parce qu’ils ont bien servi untel ou untel ! »
Le geste symbolique des quatre opposants paralyse encore l'installation du nouveau gouvernement. Il empêche pour une troisième fois la ratification de la politique générale du Premier ministre Jean-Michel Lapin. Á deux reprises déjà en mai, les sénateurs de l'opposition l'avaient empêchée en déambulant dans la salle de séance, mégaphones en main. Les élus détracteurs du président Jovenel Moïse s'opposent à la reconduction de huit ministres de l'ancien gouvernement sans qu'ils n'aient obtenu d'attestation de bonne gestion des fonds publics.
Violences meurtrières
« Combien de gens meurent dans les rues ? renchérit Antonio Cheramy. Combien de policiers meurent ? Et c’est une chaise brisée qui leur fait mal aujourd’hui ? » Depuis le début de l'année, Haïti connaît des violences meurtrières. Vingt policiers ont été tués et plus de 100 citoyens ont perdu la vie de façon violente, par balles ou armes blanches, selon le décompte d'organisations de défense des droits humains qui s'inquiètent de l'étalement des zones sous contrôle de gangs armés.
Après le saccage de ce jeudi matin, juste à l’extérieur parlement, une manifestation de quelques dizaines de partisans de l’opposition a occasionné d’intenses heurts avec les policiers. Les forces de l'ordre ont multiplié les tirs de grenades lacrymogènes pour disperser le groupe, tirant aussi par moment en l’air à balles réelles.
L'investissement et l'aide au développement freinés
Absent des lieux, Jean-Michel Lapin a été nommé Premier ministre début avril par le président après le vote de sanction adressé mi-mars par les députés contre le précédent gouvernement. Dirigé par Jean-Henry Céant, il avait été fragilisé par des manifestations qui avaient fait plusieurs morts.
Alors que 60% de la population haïtienne vit sous le seuil de pauvreté, la lenteur de ce processus politique constitue un frein aux investissements et pénalise également les programmes d'aides au développement. L'installation d'un nouveau gouvernement est en effet un prérequis du Fonds monétaire international (FMI) pour le décaissement d'une première tranche d'aide. Début mars, le FMI a octroyé un prêt de 229 millions de dollars à Haïti pour les trois années à venir.
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