Le coup d’Etat manqué contre le président Erdogan lui donne tous les arguments pour durcir encore son régime.
Après le coup d’Etat raté dans la nuit de vendredi à samedi, la Turquie a commencé une purge au sein de l’armée et de son administration. Près de 6.000 personnes avaient été placées en garde à vue dimanche, tandis que des mandats d’arrêt contre 2.745 juges et procureurs ont été émis.
Mais le président Recep Tayyip Erdogan n’a pas attendu cette tentative de putsch ourdi par une partie de l’armée pour durcir son régime. Depuis plusieurs mois déjà, les médias turcs dénoncent les dérives autoritaires du président. Récemment, deux journalistes du journal d’opposition Cumhuriyet ont été condamnés à de la prison ferme. La tentative de renversement de vendredi donne désormais au président turc un argument supplémentaire pour poursuivre dans cette voie.
>> Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient, évoque pour Europe1.fr, les enjeux des prochains jours et des prochaines semaines pour la Turquie.
A quoi faut-il s’attendre, maintenant qu’Erdogan a repris la main ?
Cela va être l’occasion pour lui de renforcer ses pouvoirs. C’est un projet de longue date, chez lui, de présidentialiser le régime. Ce coup d’Etat raté va donc lui donner toute liberté pour accentuer ses pouvoirs. Le fait qu’il ait réussi à mobiliser la population turque, qui est descendue dans la rue au lendemain du coup d’Etat, lui donne d’autant plus de crédit. Il peut se prévaloir de ce soutien pour durcir le régime.
Finalement, il n’y avait pas plus beau "cadeau" à faire au président Erdogan qu’un coup d’Etat raté ?
C’est vrai que ça ne peut que le servir. La Turquie est actuellement dans un contexte régional complexe. Ankara entretient des rapports très compliqués avec ses voisins, alors que pendant longtemps sa politique étrangère était basée sur de bonnes relations avec les pays qui l’entourent. Ce coup d’Etat peut donc permettre à Erdogan d’améliorer ses relations avec ses voisins en montrant qu’il a repris le dessus et qu’il a, en plus, le soutien de sa population. Cette légitimité lui servira de point d’appui pour améliorer sa diplomatie.
Au moins 6.000 personnes ont été arrêtées après la tentative de coup d’Etat. Que vont-elles devenir ?
Il va y avoir une reprise en main, donc il faut s’attendre à une vague de procès très sévères comme on l’a connu en Egypte au lendemain de la chute du président Morsi. Recep Tayyip Erdogan a déjà fait savoir qu’il voulait rétablir la peine de mort. Donc on peut s’attendre au pire. Il va y avoir une purge dans l’armée et dans l’administration, comme il y a déjà eu dans la presse ces derniers mois. Ce qu’Erdogan avait commencé avant ce coup d’Etat va continuer. C’est d’ailleurs pour cela que la communauté internationale a appelé au respect de l’Etat de droit. L’Allemagne a d’ailleurs rappelé qu’un pays qui rétablit la peine de mort ne peut être membre de l’Union européenne. Rappelons que la Turquie a entamé une procédure d'adhésion à l'Union européenne.
Erdogan est vivement critiqué pour ses dérives autoritaires, pourtant il a reçu un soutien massif de la population. Comment l’expliquez-vous ?
Il est critiqué par une partie de la population : l’élite, les intellectuels. Mais il bénéficie d’un soutien massif et populaire des populations des campagnes, particulièrement en Anatolie. Pour bien comprendre ce qui se passe actuellement en Turquie, il est essentiel de savoir que la société turque est très conservatrice. Et le discours porté par l’AKP, le parti conservateur d’Erdogan, répond à une composante assez large de la population qui se reconnaît en lui. Les élites, elles, sont beaucoup plus tournées vers l’Europe.
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