Dr Bakary Sambe, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et Directeur de Timbuktu Institute-African, examine minutieusement la crise que traverse le Mali, avec la prise du pouvoir par les militaires ayant contraint Ibrahim Boubacar Keita (Ibk) à la démission. Avec «L’Obs», le spécialistes des questions de conflits et de paix explique pourquoi le Mali n’est pas encore sorti du tunnel, lance un regard sur l’avenir de l’Imam Mahkmoud Dicko et du mouvement M5, les conséquences de la crise malienne sur les pays comme le Sénégal…
MALI, PAS ENCORE AU BOUT DU TUNNEL. «Avec cette nouvelle situation, je pense que le Mali n’est pas encore sorti du tunnel. Si on regarde froidement les choses, on peut conclure que Ibrahim Boubacar Keïta (Ibk) est certes parti (il a démissionné du pouvoir, Ndlr), mais les problèmes du Mali restent intacts, avec une crise institutionnelle dont on ne connaît pas l’issue. La question sécuritaire reste entière. Et même sur le plan de la consolidation de la démocratie, quels que soient les efforts menés, comment peut-on concevoir l’organisation prochaine des élections, au moment où la deuxième personnalité politique du pays (Ismaïla Cissé) est entre les mains des ravisseurs. Ceci est le symbole d’une démocratie en panne au Mali. C’est ce qui fait que le peuple malien est dans le désarroi qui l’avait conduit à se réfugier derrière un homme religieux, Imam Mahmoud Dicko, figure du Mouvement ‘’M5’’ qui, aujourd’hui, au lieu d’aspirer à la démocratie, acclame des militaires (qui viennent de renverser Ibk). Imam Dicko a pointé tous les maux du Mali sans proposer de solutions».
CHANCES DU MALI? «Malgré toutes les volontés, le Mali ne pourra pas sortir si vite de cette crise. C’est pourquoi je continue à dire qu’il ne faut pas avoir la naïveté de dire que cette crise est uniquement malienne. Elle est sous-régionale et on doit prendre à bras le corps cette crise qui n’épargnera aucun pays, notamment les pays voisins du Mali».
«L’avenir de l’Imam Dicko et du M5 en questions»
AVENIR DU M5 ET DE L’IMAM DICKO. «Il y a des supputations comme quoi le Conseil national pour le salut du peuple (dirigé les militaires qui viennent de renverser Ibk) est allé rendre visite à l’Imam Dicko. Cela reste à vérifier. Mais, je crois ce qu’il faut savoir c’est la nature des relations entre les auteurs du coup d’Etat et des ailes particulières du M5 proches de l’Imam Dicko. Je ne sais quelle est la nature de leurs rapports. Quand on regarde la situation, le M5 constitue un mouvement patriote, mais qui n’est pas cohérent. Aujourd’hui, est-ce qu’on va aller dans une forme de dialogue politique plus ouvert au delà du M5 ? Qu’est-ce qu’on fera des partisans de Ibk et autres ? Je ne sais pas si le M5 a un avenir. Cela dépend des rapports entres les putschistes et le M5 lui-même.»
CARTES EN MAIN DES JIHADISTES. «Si le Mali est lâché par la Cedeao et ses autres partenaires, les Jihadistes auront les cartes en main. On va vers un débordement des épicentres de la violence, y compris des Jihadistes. En fait, sans être les maîtres du jeu, les Jihadistes ont toujours été friands du contexte où il y a des zones de tension, d’instabilité…On ne peut pas lire aujourd’hui la carte du jihadisme sahélien sans faire le rapport entre l’imminence annoncée du déploiement de la force ‘’Takuba’’ dans la zone des grandes frontières, le récent attentat au Niger où il y a la main de Abdul Hakim al-sahraoui qui serait le remplaçant du fondateur de l’Etat islamique au Grand Sahara. Aujourd’hui, l’expérience a montré que chaque fois qu’il y a instabilité politique et institutionnelle au Mali, en plus de l’aggravation de la situation sécuritaire, ça a toujours débouché sur un débordement des épicentres de tensions. La situation burkinabè n’est rien d’autre que la résultante du débordement de la situation du Mali. Ce qui doit pousser les pays voisins à plus de vigilance».
CONSEQUENCES DE LA CRISE SUR LE SENEGAL. «Le Sénégal est devant un paradoxe. Il doit gérer cette crise malienne, dans la prise de décisions, avec beaucoup de prudence et plus de responsabilité parce que c’est un pays voisin immédiat. Le Sénégal à l’obligation de s’arrimer sur les positions de la Cedeao, de l’Union africaine (Ua) et de la communauté internationale. Aussi, le Sénégal doit avoir conscience de sa responsabilité. Il doit adopter une position beaucoup plus pro-active que pendant la crise de 2012 au Mali. Aujourd’hui, on est face à une crise politique, institutionnelle et sécuritaire au Mali. Le Sénégal doit jouer les médiations et surtout être pro-actif en termes de vigilance et d’anticipation. Pour éviter les effets de la crise malienne, le Sénégal doit être dans une forme de prévision pour ne pas être surpris. Il doit être beaucoup plus prudent sur les prises de positions. Car, beaucoup de choses restent à découvrir dans cette crise malienne qui n’est qu’à ses débuts».
ROLE DE LA CEDEAO AU MALI ? «Il y a beaucoup de critiques sur la Cedeao, mais elle doit continuer son rôle dans la médiation au Mali et proposer des solutions viables. La Cedeao doit éviter des positionnements qui la mettraient en porte-a-faux avec la population malienne. Il est certes intéressant d’avoir la position classique qui est de sanctionner un pouvoir etc, mais il ne faut pas perdre de vue que la paix se fera dans les instruments de médiation avec les institutions, mais ça sera surtout avec la population malienne. Je pense que la Cedeao reste un instrument utile, bien qu’il y ait des critiques. La Cedeao est victime de l’image de certains de ses dirigeants, mais je pense qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut préserver la crédibilité de cet instrument de médiation et de résolution de conflits, malgré toutes ses tares. Ça, c’est de la responsabilité des chefs d’Etat de la région qui doivent, par leur comportement et leur attitude, vis-à-vis de la Cedeao, préserver sa crédibilité. Cela est nécessaire pour le bon fonctionnement de la Cedeao et à la paix dans la région.»
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