« Lux mea lex » : « La lumière c’est ma loi » sur les traces de Nicole Barrière
Proverbe wolof : « Nit niteey garabam » “L’humain est le remède de l’Homme”
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Afrique :peuples de lumière et de paroles (par Daouda Ndiaye)
Le recueil de poèmes « Afrique peuples de lumière et de paroles » est le dernier né de Nicole Barrière.
Nicole Barrière est une citoyenne du monde. De la Tchétchénie à l’Afghanistan en passant par l’Afrique qui nous réunit autour son œuvre poétique, Nicole sillonne le monde pour défendre le faible contre le fort. Elle dispose d’une arme qu’elle partage avec les griots africains : la force du verbe. Nicole se démarque peut-être de la figure du griot par sa plume. Mais la plume n’est-elle pas le prolongement naturel de la voix du griot ?
« Afrique peuples de lumière et de paroles » dans une Afrique asservie et avilie a suscité un débat très riche entre le Professeur Stéphane Douailler et le Docteur Mahamadou Lamine Sagna, auteur de la préface.
Les niveaux de lecture de ce magnifique recueil de poèmes ont fait resurgir un brillant homme de Lettres et de grandes figures de la philosophie : Léopold Sédar Senghor, Jean-Paul Sartre, Gaston Bachelard et Alain Badiou.
Il est vrai qu’à première vue, toutes nos pensées pourraient se tourner vers Jean-Paul Sartre dans la belle préface qu’il donna à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor en 1948 aux Presses Universitaires Françaises. Sartre y définit le concept de négritude comme un moyen de défense des peuples d’Afrique opprimés dans un processus de décolonisation déjà enclenché.
Mais l’oppression est toujours là après 50 ans d’indépendance de l’Afrique. Elle a changé de forme avec la même violence s’adaptant aux réalités de notre époque.
Dans le débat réunissant le maître et le disciple, le Professeur Stéphane Douailler et le Docteur Mahamadou Lamine Sagna, Nicole Barrière fait appel plutôt à Gaston Bachelard.
Elle n’a pas tort même s’il est opportun de convoquer Léopold Sédar Senghor, Jean-Paul Sartre et Alain Badiou dans ce débat. Nicole Barrière est une intime de la terre. Elle habite un espace unique, la terre, avec plusieurs lieux de vies.
Nicole Barrière est comme ce gardeur de troupeaux de Fernando Pessoa qui, « Du village de son père, voit de la terre tout ce qu’on peut voir de l’Univers… ».
Elle observe une veille active sur les peuples vulnérables. C’est sur ce chemin que Nicole Barrière croise Gaston Bachelard dans la Poétique de l’espace ; Bachelard qui disait dans la Poétique de l’espace (PUF, édition 1961, p. 106) : « Si l’on me demandait le bienfait le plus précieux de la maison, nous dirions : la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver »
C’est une maison de rêves qui habite Nicole Barrière. Mais la Maison Afrique, grand brasier, n’offre plus de rêve. Il faut être habité comme Nicole Barrière pour faire bourgeonner des rêves sur les cendres de cette Afrique là.
Il faut être aussi citoyen du monde comme Nicole pour y débusquer « des intellectuels serviles maintenant le peuple dans l’ignorance. »
L’indifférence des intellectuels africains a été posée d’entrée de jeu par le Docteur Mahamadou Lamine Sagna faisant référence à Alain Badiou qui s’interroge sur le silence des philosophes face à l’horreur et à l’injustice.
Le silence coupable de ces intellectuels africains qui préoccupe Nicole Barrière est comme le ressac d’une vague en Afrique. « Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire garde aujourd’hui toute sa fraîcheur dans une Afrique qui n’a pas encore franchi le pas de la décolonisation des esprits. Aimé Césaire y parlait déjà « de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme ». (« Discours sur le colonialisme », 1955, Présence Africaine, Paris)
L’Afrique a produit des théoriciens du parti unique sous un régime militaire au Togo pour ne citer qu’Edem Kodjo, philosophe du Président Gnassingbé Eyadema et ancien Secrétaire Général de l’Organisation de l’Unité Africaine (actuelle Union Africaine).
L’Afrique a mis au monde de brillants Hommes de Lettres comme Léopold Sédar Senghor, l’auteur de la malheureuse formule « La raison est hellène, l’émotion est nègre », comme si le nègre était dénué de raison.
Alors arrive le moment d’inviter Hegel à ce débat, le théoricien de la dialectique du maître et de l’esclave, sans vouloir l’absoudre de ses bévues théoriques sur les peuples alogiques et prélogiques d’Afrique reprises par le Président Sarkozy dans son fameux discours de Dakar du 26 juillet 2007.
Dans « La Phénoménologie de l’Esprit » (1993, Gallimard, Paris), Hegel démontre qu’à force de dépendre de la force de travail de l’esclave, le maître finit par devenir l’esclave de l’esclave. Car sans l’esclave le maître ne peut pas vivre.
Voilà là où nous en sommes dans les rapports Nord-Sud ; les rapports Nord-Sud que Nicole Barrière dénoue avec une touche poétique qui rappelle, à bien des égards, un défenseur des opprimés : Pablo Neruda, Prix Nobel de Littérature.
Les rapports Nord-Sud sont dilués dans une mondialisation que l’Afrique accueille avec une grande euphorie ; cette mondialisation qui n’a pas fini de faire des ravages. Je veux parler en Afrique de l’industrie du livre qui n’est pas sortie indemne de ce brasier dépeint par Nicole Barrière. Aujourd’hui les maisons d’édition africaines les plus importantes de la zone francophone sont passées sous le contrôle de grands groupes financiers européens ; je pense au Groupe français Havas qui a acheté les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, de Côte d’Ivoire et du Togo. Les lignes éditoriales de la périphérie, l’Afrique, sont dirigées depuis le Centre, Paris. Disposer d’une maison d’Edition sénégalaise comme Phoenix aux Etats Unis est sans doute une bouée de sauvetage pour tous ces écrivains africains et amis de l’Afrique comme Nicole Barrière mais aussi et surtout pour les lecteurs qui expriment une demande d’Afrique de plus en plus importante.
A l’heure du projet de numérisation des livres avec Google on se demande comment l’édition africaine, déjà fragilisée, vivra ce qu’on pourrait appeler à juste titre l’autodafé des livres de notre époque décrié par l’académicien français Erik Orsenna.
L’originalité de la publication de Nicole Barrière dans une maison d’édition sénégalaise est à saluer au moment où de nombreux auteurs africains ou amis de l’Afrique désertent les maisons d’édition africaines pour les maisons d’édition du Nord. Publiant aux Editions Phoenix, Nicole se met du côté de ceux qui résistent, bien qu’elle soit directrice de collection chez l’Harmattan, l’une des plus grandes maisons d’édition de France.
Nicole Barrière est française mais elle a l’humanité qui coule dans ses veines. Avec ses mots, elle monte au front pour soulager les maux des plus vulnérables comme savait le faire Balla Fasséké, le grand griot de l’Empire Mandingue de Soundiata Keita.
« Afrique peuples de lumière et de paroles » est en définitive un remontant dissipant les ténèbres sur les idées reçues d’une Afrique qui n’est pas encore entrée dans l’histoire.
Merci Nicole Barrière pour ton combat sans frontière ; ce combat qui doit amener l’Humain à être le remède de l’Homme comme nous l’enseigne la sagesse wolof. « Telle est la première urgence de celui qui, après avoir réfléchi, [comme Nicole Barrière], s’apprête à agir » pour reprendre la formule lucide de Frantz Fanon, l’auteur de « Peau noire, Masques blancs » (1975, Editions du Seuil, Paris, p. 180).
Daouda Ndiaye
Docteur en Sciences de l’Education, Poète
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